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trines de la vie spirituelle ont aussi disparu en laissant un grand vide dans les âmes pures auxquelles elles procuraient un monde infini de consolations.

Le moraliste, et non le critique, m’occupe en ce moment : j’ai à rechercher, non la vérité de telle ou telle croyance, mais ses effets sur le caractère et le goût. Or on ne peut nier que la religion n’exerce une influence entièrement différente sur le développement intellectuel et moral de l’individu selon la manière dont elle est acceptée. La foi, qui semble au premier coup d’œil la plus contraire à tout développement libre, élève, améliore et fortifie l’homme, dès qu’elle est le fruit d’une conviction acquise par l’exercice de la raison. Au contraire, la foi en apparence la plus large écrase et rapetisse celui qui s’y livre, quand on l’accepte comme un joug officiel émanant d’une autorité extérieure. Les derniers siècles ont souvent été intolérans et peu éclairés dans leur croyance; mais jamais avant nos jours on n’avait songé à poser en principe que la religion a pour objet de nous dispenser de réfléchir aux choses divines, à notre destinée, à nos devoirs. Il était naturel qu’après avoir mis l’homme civil et politique en tutelle administrative, on fit de même pour les consciences, et qu’on s’habituât à voir les dogmes comme les lois arriver tout faits d’un centre infaillible sans qu’on eût à les comprendre ni à les discuter.

Le goût si décidé de M. de Sacy pour le passé devait nécessairement l’amener à être sévère pour le présent. M. de Sacy est pessimiste, et il a bien raison. Il est des temps où l’optimisme fait involontairement soupçonner chez celui qui le professe quelque petitesse d’esprit ou quelque bassesse de cœur. Ici pourtant quelques explications sont nécessaires. D’accord avec M. de Sacy sur les dangers sérieux que cause à la société moderne la perte de tant de qualités solides qui faisaient la force du vieux monde, je diffère un peu de lui sur la manière d’apprécier le mouvement intellectuel de notre époque. Je crois qu’aucun siècle n’a vu si loin que le nôtre dans la vraie théorie de l’univers et de l’humanité; je pense qu’il y a dans quelques milliers de nos contemporains plus de pénétration d’esprit, de finesse, de vraie philosophie et même de délicatesse morale que dans tous les siècles passés réunis; mais cette riche culture, à laquelle, selon moi, aucune époque n’a rien à comparer, est en dehors du siècle et a sur lui peu d’influence. Un matérialisme grossier, n’estimant les choses qu’en vue de leur utilité immédiate, tend de plus en plus à prendre la direction de l’humanité, et à rejeter dans l’ombre ce qui ne sert qu’à contenter le goût du beau ou la curiosité pure. Des soucis de ménage dont les sociétés d’autrefois se préoccupaient à peine sont devenus de grosses