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les assiégés de Lucknow avaient fini par tenir les ingrats coquins en question. Jacques Cipaye allait bientôt se montrer sous un aspect nouveau.

Le 20 juillet, vers neuf heures du matin, toutes les batteries assiégeantes ouvrirent leur feu, et de tous côtés on vit se mettre en mouvement les colonnes des insurgés. Les canons de la résidence, braqués sur ces masses mouvantes, entrèrent dès lors en fonctions, et le combat s’engagea simultanément sur tous les fronts de la petite enceinte. L’effort principal néanmoins se portait sur le redan. Les insurgés avaient, sans qu’on s’en fût rendu compte, poussé une mine dans la direction de cet important ouvrage. Fort heureusement elle n’était pas arrivée assez loin, quand ils y mirent le feu, pour lui porter dommage ; mais à peine avait-elle éclaté, que, se croyant certains de trouver la brèche ouverte, les cipayes s’y précipitèrent plus audacieusement qu’on ne s’y fût attendu. La fumée de l’explosion venant à se dissiper, ils se trouvèrent arrêtés, par des obstacles imprévus, sous le feu combiné de deux ou trois batteries et sous celui des tireurs accourus de ce côté. Toute la garnison avait compris que cette fois la partie se jouait sérieusement. Pas un homme ne manquait à son poste. Les malades et les blessés eux-mêmes, quittant les matelas sanglans de l’hôpital, accouraient, pâles et suant la fièvre, à ce dernier rendez-vous de la mort. On vit derrière les créneaux se traîner jusqu’à un malheureux amputé qui, de son unique bras, déchargeait les fusils qu’on lui passait l’un après l’autre. Épuisé par ce dernier effort, il mourut le jour même.

L’énergie de la résistance eut quelque peine à dominer celle de l’attaque. Les chefs des insurgés donnaient l’exemple, s’élançant jusqu’aux palissades, leur bonnet au bout de leur épée ; leurs hommes les suivaient et vinrent en plusieurs endroits se coller aux remparts, là où ni boulets ni balles ne les pouvaient aller chercher. Quelquefois on les délogeait avec des grenades. Sur un point où les grenades manquaient, on recourut à l’un de ces expédiens singuliers qui s’improvisent dans la mêlée, et jaillissent, comme l’étincelle, du choc où l’on s’entre-tue. On jeta sur les cipayes des substances que M. Rees qualifie d’éminemment impures, et les cipayes, redoutant plus que la mort le contact dégradant de ces « substances innomées, » retraversèrent sous une pluie de balles l’espace périlleux qu’ils avaient franchi dans leur premier élan.

Sans entrer dans plus de détails stratégiques, bornons-nous à dire que chacune des garnisons attaquées, Innés comme Anderson, Gubbins comme Sago, se défendit avec la même intrépidité, le même bonheur, et que les cipayes se retirèrent vers quatre heures de l’après-midi, c’est-à-dire après sept heures de lutte, laissant des centaines de cadavres autour de la redoutable enceinte. Les Euro-