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esprit qui se replie sur lui-même pour s’analyser; mais il a an plus haut point le sentiment de son être. Il a en abondance la vie qui sort du dedans; à son insu, et sans le vouloir, il est constamment en travail pour mieux entrer en possession de lui-même, pour faire acte et pour jouir de toutes ses forces intérieures. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’être un génie trop exclusivement créateur, et d’avoir plus d’inspirations qu’il n’en saurait coordonner. Son jugement n’a pas le temps d’examiner tout ce qu’il imagine; son activité morale Crit trop forte pour sa dose de volonté.

Du moment où nous nous formons de lui cette idée, elle fait disparaître les contradictions apparentes de ses écrits et de sa carrière. Elle nous explique ses qualités et ses défauts, sa naïveté et sa bizarrerie, sa passion pour les expériences et ses éternelles rêveries. Elle nous explique comment il a tant de force et tant de faiblesse d’esprit, comment il se laisse tromper par la vivacité de ses idées, sans que ses idées pourtant l’égarent jamais, je veux dire sans que celle du moment l’entraîne jamais à raisonner d’après elle seule, et à perdre de vue toutes celles qu’il a eues auparavant ou qu’il est capable de se créer. Elle nous explique jusqu’à ces transports et à ces crescendo de pensées qui terminent si fréquemment ses paragraphes et qui semblent des feux d’artifice qu’il fait partir dans sa joie d’avoir mené à fin le sujet qu’il considérait et qui l’empêchait de s’abandonner à son imagination. Elle nous rend compte en un mot des particularités et des inégalités très saillantes de son style. Partout où il s’astreint à décrire des faits, il a une élocution rugueuse et mal jointe, souvent trouble et peu grammaticale; mais dès qu’il énonce ses propres sentimens, il est admirable de jet, de nerf et de signification condensée. Sous son langage, on sent constamment un esprit qui enfante sans cesse et qui ne suit que la loi de ses impressions. Il est toujours subjectif dans sa logique. Les choses se présentent, se classent et s’entr’appellent pour lui, non pas d’après les rapports qu’elles peuvent avoir sur la terre, mais d’après les émotions ou les idées auxquelles elles se rattachent dans sa pensée. Il réduit l’univers en morceaux pour le recomposer à son gré; il désigne tel objet par la figure d’un autre objet qui a fait vibrer en lui la même corde; il a pour tout ce qui n’est pas lui des dénominations à deux faces où il sait mettre en abrégé et par allusion sa propre histoire. Quand sa langue maternelle ne lui en fournit pas, il parle grec et latin en anglais; quoi qu’il fasse d’ailleurs, ses mots et ses images ont la justesse étrange du rêve, l’infaillibilité particulière d’une vision qui s’est produite pendant que la volonté n’était plus là pour l’égarer, et qui n’a pu manquer d’être exactement et exclusivement la photographie même de quelque ancienne sensation. Comme en songe d’ailleurs, il a les étrangetés qui viennent de l’abandon et