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verie of Witchcraft) devait contribuer plus que l’histoire et l’expérience à réveiller les hommes de leur cauchemar démonologique. Il s’est dit que le créateur des lois de la nature devait seul être capable de les suspendre ou de produire des effets sans leur concours, et qu’attribuer au démon le pouvoir d’accomplir de véritables miracles, ce serait en faire un second Dieu, égal au Créateur. Pour se tirer de cette difficulté, Browne a encore recours à une fraude de Satan. « C’est lui qui par un nouvel artifice s’est donné la fausse apparence de posséder les prérogatives du Très-Haut. » Quoiqu’il ait d’une manière spécieuse opéré des guérisons et contrefait les œuvres merveilleuses des prophètes, « il n’est en réalité qu’un habile prestidigitateur, un physicien transcendantal qui sait accomplir ce qui est par rapport à nous un prodige, en sachant user des forces naturelles que notre science n’a pas encore découvertes. »

Malgré la place que le monde surnaturel occupe dans les préoccupations du médecin de Norwich, je donnerais une fausse idée de son œuvre en laissant supposer qu’elle est remplie par ces spéculations si surannées pour nous. Une des deux sections de la Religio medici est consacrée à la charité, à la vertu que Browne préférait entre toutes, et même dans sa confession de foi proprement dite il abandonne assez promptement la sphère des anges et des démons pour reporter ses pensées sur l’âme humaine, sur la fin des temps, sur la destinée future de l’homme. Toutes les pages où il aborde ces nouvelles questions sont d’une haute poésie et d’une grande portée métaphysique; mais plus il se rapproche de la terre, plus nous voyons reparaître chez lui cette veine de doute dont je parlais plus haut. Il semble que les choses sensibles auxquelles il touche deviennent sous sa main encore plus fantastiques que les choses qui échappent aux sens. Tandis que toutes ses facultés se tendaient tout à l’heure pour donner un corps, et une figure à l’invisible, il aboutit, en obéissant précisément aux mêmes impulsions, à réduire ce qui a corps et figure en une impalpable vapeur. Sur son esprit toujours en mouvement, les objets se changent en une masse de lignes flottantes. Il les considère si longtemps, il s’acharne tellement à en saisir tous les tenans et les aboutissans, qu’il se perd dans la multitude de ses réflexions. De fait, il lui est impossible de s’entendre avec lui-même. L’imagination pittoresque du midi et l’intuition abstraite du nord se rencontrent à doses trop égales dans sa nature. Il remue ciel et terre pour découvrir des images qui prêtent à ses contemplations l’aspect d’une réalité solide, et jamais il ne parvient à être dupe de ses métaphores comme les Grecs l’étaient des leurs. Ses réflexions sur l’enfer et sur la destruction finale de l’univers le jettent dans d’indicibles perplexités. Il ne sait comment dire que le feu est l’essence de l’enfer, ni comment imaginer des flammes qui