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quand il est question des esprits, auxquels il croit plus qu’à lui-même. Il les discute, il les envisage sous toutes les faces, il s’obstine à leur donner la consistance, la couleur et les lignes arrêtées d’une réalité. Si on lui demande son opinion et sa métaphysique sur leur nature, il avoue avec humilité qu’elles se réduisent à des notions négatives comme celles qu’il a sur Dieu, ou à de simples conjectures par comparaison; mais dans ses conjectures au moins, il tient à épuiser la question. « Dans cet univers, dit-il, nous voyons une gradation ou hiérarchie de créatures qui ne s’élève pas confusément, mais avec une proportion et une méthode pleines de beauté. Les choses inertes et celles qui ont la vie sont séparées par une grande disparité de nature; une plus vaste distance s’étend entre les plantes et les animaux ou créatures douées de sentiment; de ces dernières à l’homme, la différence va de nouveau s’accroissant, et si la proportion continue, il doit y avoir encore bien plus loin des hommes aux anges. » Partant de là, il ne s’arrête pas avant d’avoir présumé au moins que ces natures supérieures doivent avoir, d’une manière plus complète et plus absolue, toutes les perfections qui s’indiquent obscurément chez l’homme; qu’elles doivent connaître les choses par leur essence, tandis que nous les jugeons seulement par leurs accidens; qu’elles doivent par conséquent voir nos propres pensées comme si elles les portaient en elles-mêmes; qu’elles doivent avoir la puissance de mouvoir tous les corps sans en animer aucun.

Quant au démon qu’il a introduit dans sa Pseudodoxia, Browne est encore plus explicite, et rien n’est charmant comme d’observer toutes les peines honnêtes qu’il se donne pour dresser sans additions et sans omissions le catalogue de ses méfaits. « C’est Satan, dit-il, qui s’applique sans relâche à nous inoculer la croyance qu’il n’y a pas de Dieu, et, faute de réussir jusque-là, c’est lui qui nous pousse au moins à nier sa providence et à supposer qu’il ne s’occupe que des espèces. C’est lui qui, en sentant combien il a peu de chances de nous convertir à cet athéisme, prend le détour de nous persuader qu’il existe un grand nombre de dieux. C’est lui qui, pour rendre nos erreurs plus monstrueuses, a tenté de se faire passer lui-même pour un dieu. Et tel est le mystère de ses tromperies que tout en travaillant à nous convaincre de sa divinité, il cherche à nous faire croire qu’il est moins que les anges, moins que les hommes, qu’il est soumis à l’empire non-seulement des créatures raisonnables, mais encore de mille choses sans efficacité, telles que des lettres, des signes, des syllabes. » Toutefois à l’égard de Satan lui-même, il s’en faut que Browne soit prêt à accepter les ouï-dire sans les examiner. Il est le premier à se contrôler et à se poser toutes les objections imaginables. Dès le début, il est une pensée qui l’a arrêté, la même pensée qui sous la plume de Reginald Scott (dans sa Disco-