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un mot, sa foi a cela de très particulier, qu’elle semble moins tenir de la soif de certitude que du besoin de s’interroger et de spéculer. Les croyans ordinaires cherchent avant tout dans la religion un point fixe pour leurs incertitudes. Ce qui les attire et ce qu’ils embrassent avec le plus de contentement, c’est la partie positive du christianisme, ce sont les révélations qu’il leur apporte. Ce qui gagne Browne et ce qui le retient, ce sont au contraire les mystères, ce sont les voiles que la théologie ne soulève pas.


« Il me semble, écrit-il, qu’il n’y a pas dans la religion assez d’impossibilités pour une foi active... J’aime à me perdre dans un mystère, à suivre mes pensées jusqu’à un o altitudo! C’est ma récréation solitaire que d’embarrasser mon entendement avec ces énigmes emmêlées et ces problèmes insolubles de la trinité, de l’incarnation et de la résurrection. Je puis répondre à toutes les objections de Satan et de ma raison rebelle par cette étrange solution que j’ai apprise de Tertullien : Certum est quia impossibile est. Ajouter créance à des faits ordinaires et visibles n’est pas de la foi, mais seulement de la conviction. Il est des hommes qui croient plus fermement pour avoir vu le sépulcre du Christ, et qui, après avoir contemplé la Mer-Rouge, ne doutent plus du passage miraculeux. Moi, je suis heureux de n’avoir pas vécu aux jours des miracles, de n’avoir jamais aperçu le Christ ni ses disciples. Je ne voudrais pas avoir été un des Israélites qui passèrent au milieu des flots entr’ouverts, ni un des malades sur qui Notre-Seigneur opéra ses merveilles. Ma foi m’eût alors été imposée, et je n’aurais point part à la bénédiction qui a été prononcée sur ceux qui croient et n’ont pas vu... Depuis que j’ai atteint l’intelligence de savoir que nous ne savons rien, ma raison a été plus souple à la volonté de la foi. Sans exiger une rigide définition, je me contente maintenant de comprendre un mystère sous une image facile et platonicienne. Cette description allégorique d’Hermès (une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part) m’a toujours séduit au-delà de toutes les définitions métaphysiques. Là où il m’est impossible de satisfaire ma raison, j’aime à complaire à mon imagination. Quand l’obscurité est trop épaisse pour notre entendement, il est bon de nous reposer dans une description, une périphrase ou même un à peu près. En faisant savoir à notre raison combien elle est incapable de pénétrer les effets visibles et patens de la nature, nous la rendons plus humble et mieux soumise aux subtilités de la religion. C’est ainsi que je dresse mon esprit farouche et mal dompté à s’abattre sur l’appât de la foi. »


Ne nous y trompons pas : cet état d’éblouissement extatique n’est point le symptôme d’une organisation où la raison a peu d’empire, c’est plutôt celui d’une raison très active, qui a beaucoup tâché de comprendre, qui a même porté trop haut ses ambitions, et qui, en comptant ses efforts déçus, a pu supputer combien le connu était peu de chose pour elle à côté de l’incompréhensible. « Nous ne faisons qu’apprendre aujourd’hui ce que nos jugemens plus avancés nous forceront demain à désapprendre, et Aristote nous enseigne