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principautés, ou aller fonder des royaumes de saints exempts du péché. Les sciences, les philosophies, toutes les habitudes intellectuelles où les pensées étaient restées si longtemps renfermées, avaient également éclaté pour les rendre libres et leur ouvrir les espaces sans bornes du désir et de l’espérance. La renaissance, armée de l’imprimerie, avait versé dans les têtes une masse d’idées grecques et romaines qui contredisaient violemment les opinions du moyen âge, et qui, en les brisant sous leur choc, avaient formé avec leurs débris une sorte de chaos en pleine fermentation. Par-dessus tout, la réforme, et plus particulièrement la réforme comme elle s’était produite en Angleterre, était venue remuer les âmes jusqu’à des profondeurs où les passions politiques et les préoccupations de bien-être ne pénétreront jamais. Pendant que l’ancienne église était supprimée, puis rétablie, puis encore supprimée; pendant que les persécutions se joignaient aux innovations pour attiser la fièvre des esprits, les épées jusqu’au règne de Charles Ier n’étaient point sorties du fourreau; l’ardeur religieuse n’avait point eu de débouché extérieur. Elle ne s’était pas dépensée dans ces luttes civiles qui lassent les énergies, qui découragent les volontés par l’expérience de leur impuissance, qui dégoûtent les honnêtetés par le spectacle des honteux penchans toujours prêts à s’enrôler dans toutes les querelles. Entièrement comprimé, l’enthousiasme avait pesé de tout son poids sur les esprits pour les faire rentrer en eux-mêmes. Comment fallait-il honorer Dieu? en quoi consistaient la sainteté et le devoir? Telles étaient les questions qui absorbaient le cœur et la raison des hommes, et dont la nouvelle doctrine, avec sa tendance à mettre les sentimens au-dessus des œuvres, centuplait encore la puissance.

Aussi le XVIe siècle est-il marqué par une explosion de vie morale non moins remarquable que celle qui suivit l’avènement du christianisme. C’est l’heure où aboutit la longue gestation du moyen âge chrétien. Tout ce qui s’enfante alors est un triomphe et une glorification absolue des principes et de l’activité du moyen âge. Sur toute la ligne, le sentiment se proclame lui-même comme la loi souveraine. En religion, il ordonne aux hommes de désespérer de leur raison pour obtenir la grâce; il leur annonce que, pour chacun, le devoir est d’écouter sa propre conscience, d’avoir en soi les saintes inspirations, et de leur obéir quand même sans s’inquiéter de ce qui peut sortir des actes. En poésie, il rompt avec l’art antique, — cet art qui n’est que le talent d’agir sur les lecteurs avec la science des moyens d’action, — et par la voix de Shakspeare et de Spenser, il compose d’un seul coup le poème complet de tout ce que l’âme d’alors pouvait imaginer et sentir en puisant en elle-même toutes ses aspirations, ses énergies et ses sensibilités. Dans la science, c’est