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d’indépendance locale, et le principe communiste, qui forme l’antithèse du droit de propriété du sol. L’un est un ressort de gouvernement et un moyen de liberté, l’autre ne tend qu’à détruire l’activité spontanée et la responsabilité des actes. En réalité, étudiée dans sa forme et dans ses origines, la commune russe n’est pas autre chose qu’une organisation destinée à répartir entre des serfs les charges du servage. Elle est née de l’obligation collective de l’impôt, et ne vaut que comme instrument fiscal. Pour servir la cause de l’avenir, il faudrait que, renonçant aux pratiques communistes, la commune se consacrât d’une manière féconde à l’œuvre de l’administration locale proprement dite, ce qui implique un ordre politique exempt d’arbitraire, et qu’elle retînt les membres qui la composent, par le bénéfice des avantages offerts, au lieu de les assujettir à porter leur part des charges imposées, en leur refusant la liberté de s’établir ailleurs. Qu’on ne s’y méprenne pas, ce que défend Iscander, ce que glorifient en Russie MM. de Haxthausen et Gerebtzof, c’est le communisme, et non pas la commune.

M. de Gerebtzof l’avoue d’ailleurs. Après avoir reconnu à regret qu’aucune application du communisme n’est possible à l’occident de l’Europe, il ajoute avec un accent de triomphe : « Cependant cet idéal est mis en pratique depuis la formation des sociétés à l’orient de l’Europe. Oui, cette utopie, illusoire pour l’Europe occidentale, existe bien réellement en Russie. » Pour employer un langage plus simple et plus exact, il aurait dû se borner à reconnaître que la Russie a conservé les lisières de l’enfance sociale, qu’elle n’a pas encore profité du progrès accompli par les nations qui ont secoué les langes du communisme pour s’élever à la liberté par l’exercice du droit de propriété. L’illustre Fox[1] donne de la liberté une définition qui commence par ces mots : It consists in the safe and sacred possession of a man’s property. Ces paroles parlent mieux à l’esprit que les singulières promesses de M. de Gerebtzof : « La Russie possède un fonds de communisme susceptible des développemens les plus féconds. Quelques mesures suffiraient pour réaliser un système social qui ailleurs paraît un rêve... Le progrès du communisme promet un magnifique avenir à la Russie. » C’est, au contraire, parce que la Russie possède un fonds de communisme qu’elle reste en arrière du monde civilisé; pour se rapprocher des lumières, de la puissance et de l’activité féconde des autres peuples, elle doit effacer ces tristes vestiges de la communauté primitive.

La méprise que commettent les défenseurs de la commune russe tient à deux préoccupations évidentes : ils redoutent pour l’Europe

  1. Dans un célèbre discours du 1er décembre 1784.