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dans les contrées où il n’existe point de loups, où nuit et jour les troupeaux paissent en pleine sécurité!

A côté du mécanisme de 1er administration, une autre cause a fonctionné constamment pour éteindre l’esprit d’indépendance du paysan russe : c’est le partage communiste du sol. L’oppression permanente du tchinovnik (employé) et l’absence du droit de propriété ont conspiré au même résultat : elles ont maintenu l’inertie, empêché toute dignité personnelle et toute activité spontanée de naître, elles ont condamné à une stérilité relative un sol d’une immense étendue et une population douée de qualités remarquables. En effet, la Russie ne manque ni d’une nation naturellement intelligente et habile, ni d’une terre féconde. Le peuple est robuste de corps et délié d’esprit; il est capable de comprendre et d’accomplir les travaux les plus variés : des espaces infinis attendent la main de l’homme; mais les aptitudes naturelles et un vaste territoire ne peuvent être fécondés que par le développement libre de l’intelligence et par les garanties du droit de propriété; sans ces énergiques leviers, tout se dégrade et s’abaisse. Les règlemens d’administration les mieux conçus sont impuissans, quand la vie intérieure fait défaut; ils sont comme une machine à feu habilement construite à laquelle il ne manquerait, pour la faire marcher, que la vapeur !

Les terres que possède chaque village des domaines de la couronne sont périodiquement divisées entre tous les paysans, selon le nombre des individus mâles de chaque famille. A chaque part correspond la redevance qui s’appelle l’obrok: c’est une sorte de rente personnelle, qui donne droit à la jouissance d’un lot de terre, mais qui n’est pas calculée sur l’étendue de cette jouissance. La transformer en rente foncière proprement dite, ce serait réaliser une réforme des plus fécondes : l’administration des domaines est entrée dans cette voie; elle permet aussi, dans les nouvelles colonies, à titre d’expérience, d’assigner aux familles qui le demandent des terrains séparés contre un fermage permanent. — dans les provinces de l’ouest, le système des prestations personnelles est maintenu pour une partie des domaines de la couronne; on travaille à le remplacer successivement par le système des redevances. — Parmi les réformes essayées par le ministère des domaines, il n’en est pas de plus importante que la transformation successive de l’obrok personnel en impôt foncier; elle pourra servir d’acheminement vers un droit permanent de propriété. Une fois ancré dans le sol, ce droit produira ses fruits naturels; il relèvera non-seulement la condition matérielle, mais, ce qui importe bien plus encore, car là est la source du progrès véritable, il relèvera la condition morale des paysans. Liberty and property! c’est le cri de guerre des Anglais, a dit Vol-