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L’outil qui forme à lui seul tout le matériel agricole du sud de l’Italie et de la Sicile ne figurait même pas à l’exposition de Palerme. C’est une petite houe, large à peine comme la main, avec laquelle on pioche et on défonce la terre, on recouvre les semences et on les sarcle, on chausse les arbres, on travaille la vigne. Il faut le dire, cet instrument est fort convenable pour les jardins et pour les terres qui, trop en pente ou couvertes d’oliviers, sont inabordables à la charrue; néanmoins celle-ci est employée parfois, si on peut donner ce nom à un crochet de bois dont le bec déchire le sol, tandis que l’autre bras forme une flèche qui va s’atteler au joug des bœufs. Cette charrue gratte l’Italie depuis quarante siècles au moins, sans que l’on ait songé à y faire le moindre changement par respect sans doute pour Triptolème, qui l’inventa. Elle est aussi employée dans quelques parties de la France; mais comme chez nous le culte des traditions n’existe plus guère, on s’est permis d’ajouter en forme de versoir deux chevilles de bois des deux côtés du crochet. Certes, cet instrument grossier ne vaut ni une charrue Dombasle, ni un extirpateur, mais les pays qui ne peuvent entretenir que des bêtes de trait excessivement faibles, des vaches, des ânes, ou des mulets chétifs, sont réduits à employer la charrue primitive, à l’exclusion des autres instrumens plus puissans, mais plus lourds. Du reste, dans le nord de l’Italie, où la terre est plus humide et plus forte, où les animaux de travail sont plus robustes, on a déjà adopté les meilleurs types de charrue.

L’exposition de Palerme se composait d’instrumens étrangers importés d’Angleterre, et encore des instrumens les plus lourds, les plus compliqués, les plus chers qu’on ait jamais inventés au-delà du détroit. Il y avait des rouleaux en fonte Croskill pour des terrains qui, sous l’action de sécheresses presque continues, se pulvérisent à l’état de cendres. Il y avait des moissonneuses de Mac-Cormik pour un pays où les champs, judicieusement plantés d’oliviers, en rendent l’emploi impossible; il y avait des faneuses de Smith, dont la Sicile a besoin comme un gueux de coffre-fort. Il y avait, que sais-je? de la fonte, de l’acier, du fer. Pourtant, sans ce métallique et ruineux appareil, on peut en Italie récolter des oranges, des citrons, des figues, des raisins; on peut faire du vin, de l’huile; on peut obtenir des fourrages, produire du lait, des fromages, de la laine et de la viande, faire en un mot une agriculture lucrative. Le jugement, cette faculté nécessaire en toutes choses, est surtout indispensable en agriculture. Un cultivateur peut bien se passer d’esprit, ce qui cependant ne gâterait rien à l’affaire, mais il doit au moins avoir le sens commun, qualité qui de nos jours est devenue bien plus rare que le génie. Et puisque l’Italie, elle aussi, est prise par cette ar-