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nous avons feint d’ignorer ses meilleures réformes. En agriculture, nous nous sommes pris, il est vrai, d’enthousiasme pour les races d’animaux domestiques artificiellement créées, sans trop nous inquiéter si une masse abondante de fourrages n’était pas le secret de ces monstrueuses créations, sans nous enquérir non plus par quels moyens les Anglais produisaient économiquement les fourrages. Depuis l’attention a été attirée sur cette culture si simple par l’instructif et intéressant tableau de l’économie rurale en Angleterre, dû à un écrivain qui a su faire jaillir de l’éloquente comparaison des deux cultures plus d’un enseignement précieux pour la France [1]. La prospérité agricole de la Haute-Italie est un exemple non moins instructif que celui de l’Angleterre; elle nous indique la voie où devrait marcher notre pays, en démontrant ce qu’a de productif une combinaison intelligente de la grande et de la petite culture. Je m’explique sur ce fait. Comme chacun le sait, pour qu’un champ rapporte, il lui faut deux choses: le travail et l’engrais, et ces deux élémens doivent être dans une juste harmonie. La grande culture opère par l’engrais bien plus que par le travail; la petite culture au contraire, qui ne peut entretenir que peu de bestiaux, qui manque généralement de capitaux, fournit à la terre le travail en plus grande quantité. Cette culture n’est donc fructueuse que sur une terre douée d’une fertilité naturelle assez grande. Elle ne doit pas s’appliquer à la production peu lucrative des céréales, mais à celle qui, exigeant du travail et peu d’engrais, est naturellement de son ressort, à la vigne, aux arbres fruitiers, au jardinage, ce qui implique encore pour elle la proximité d’une ville et un écoulement assuré. Dans ces conditions, la petite culture est sur son domaine; c’est ainsi qu’on la trouve en France dans le rayon des villes, dans quelques cantons privilégiés, dans nos vignobles. Malheureusement elle est aussi fort répandue dans les pays stériles; elle n’est plus alors en harmonie avec le sol; elle n’est qu’une fatale conséquence du manque de capitaux, de l’impuissance et de la misère. Ces terres, qui demandent des engrais plus que du travail, appartiennent de droit à la grande culture, qui s’y établira à mesure que les voies de communication seront ouvertes et les débouchés plus assurés. Cette métamorphose, ou plutôt cette résurrection de la culture dans nos départemens pauvres, s’effectuera si lentement, qu’elle sera insensible pour bien des gens; elle s’opérera fatalement, mais à l’avantage, il faut l’espérer, des métayers misérables qui pourront trouver dans le travail industriel une position moins précaire.

  1. Voyez à ce sujet, dans la Revue du 1er mars 1833, l’étude de M. L. de Lavergne sur les Cultures anglaises comparées à celles de la France.