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raisons pour vous croire. Si vous êtes Christian Waldo,… un homme qui, dit-on, peut contrefaire toutes les voix humaines… Ah ! tenez, je m’y perds ; mais j’ai bien du chagrin,… et je doute encore, Dieu merci !

— Ne doutez plus, hélas ! Marguerite, — dit Christian, qui venait de sauter à terre, la voiture s’arrêtait ; — regardez-moi, et sachez bien que l’homme qui vous a voué le plus profond respect et le plus absolu dévouement est bien le même qui vous jure sur l’honneur être le véritable Christian Waldo.

En même temps Christian releva sur son front le masque de soie, se mit résolument dans la lumière du fanal et montra son visage en se penchant vers la portière. Marguerite, en reconnaissant son ami de la veille, étouffa un cri de douleur trop éloquent peut-être, et cacha sa figure dans ses mains, tandis que Christian, rabaissant son masque, disparaissait dans la foule des valets et des paysans accourus pour voir la fête.

Il eut bientôt rejoint M. Goefle, qu’il était question de porter en triomphe, vu qu’il était arrivé, non pas le premier (il était arrivé le dernier), mais parce qu’il avait fait une prouesse imprévue en attrapant au vol avec son fouet la perruque de Stangstadius, qui s’était juché sur le traîneau de Larrson en dépit du jeune major. Certes M. Goefle ne l’avait pas fait exprès ; le bout de son fouet, lancé au hasard, s’était noué autour de la queue de la perruque par une de ces chances que l’on peut appeler invraisemblables, parce qu’elles arrivent une fois sur mille. Le chapeau du savant, arraché par les efforts que faisait Goefle pour dégager son fouet, avait été s’abattre comme un oiseau noir sur la neige ; la perruque avait suivi la queue, la queue n’avait pas voulu quitter la mèche du fouet, que M. Goefle n’avait pas eu le loisir de dénouer, et qui, ainsi terminée en masse chevelue bourrée de poudre, avait perdu toute sa vertu, tout son effet stimulant sur les flancs du généreux Loki. Dans le premier moment du triomphe, le vainqueur Larrson n’avait rien vu ; mais les cris et les injures de Stangstadius, qui redemandait sa perruque à tout le monde et qui s’était enveloppé la tête de son mouchoir, attirèrent bientôt l’attention.

— C’est lui ! s’écriait le géologue indigné en montrant M. Goefle masqué ; c’est ce bouffon italien, l’homme au masque de soie ! Il l’a fait exprès, le drôle ! Attends, attends, va, coquin d’histrion ! je vais te donner cent soufflets pour t’apprendre à railler un homme comme moi !

Un immense éclat de rire avait accueilli la colère de Stangstadius, et le nom de Christian Waldo avait été acclamé par tout le personnel de la course ; mais bientôt la scène avait changé. Stangstadius, irrité des rires de cette impertinente jeunesse, s’était élancé vers le ravisseur de sa perruque, lequel, debout sur son char, montrait