Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle va sûrement m’envoyer M. Stangstadius pour me tenir compagnie !

— M. Stangstadius ! s’écria Christian, où est-il ? Je ne le vois pas…

— Il a eu la naïveté de mettre un masque ; il n’en est pas moins reconnaissable ; s’il était par là, vous le verriez ! Il n’y est pas, et tout le monde part.

— Mademoiselle, dit le cocher de Marguerite en dalécarlien à sa jeune maîtresse, madame votre tante vient de me faire signe de suivre.

— Suivons, mon ami, suivons, dit-elle ; mais vous êtes à pied, monsieur Goefle ! Montez sur le siége, vous ne pourrez pas suivre autrement.

— Que dira votre tante ?

— Rien, elle n’y fera pas attention.

Christian sauta sur le siége, pensant avec regret que la conversation était finie ; mais Marguerite ferma la glace de côté et ouvrit celle de devant. Le siége où se trouvait Christian était de niveau avec cette glace. Le traîneau ne faisait pas le moindre bruit sur la neige, que suivait Péterson en dehors du chemin frayé, car il avait perdu son rang dans la bande. En outre, le brave homme n’entendait pas un mot de français : la conversation continua.

— Que se passe-t-il donc au château ? demanda Christian, essayant de détourner de lui l’attention que lui accordait Marguerite : je n’ai pas vu le baron ici ; il me semble qu’on le reconnaîtrait à sa taille comme M. Stangstadius à sa démarche.

— Le baron est enfermé sous prétexte d’affaires pressantes et imprévues. Cela veut dire qu’il est plus malade. Personne n’en est dupe. On a vu sa bouche de travers et son œil dérangé. Savez-vous qu’après tout c’est un homme extraordinaire de lutter contre la mort !… Il devait courir, comme cela, cette nuit avec les jeunes gens, et il eût certes gagné le prix : il a de si bons chevaux ! On annonce une chasse à l’ours pour demain. Ou le baron chassera et tuera son ours, ou le baron sera porté en terre avant que l’on ait songé à décommander la chasse. L’un est aussi possible que l’autre. Cela fait, pour tout le monde ici, une situation bien singulière, n’est-ce pas ? Il semble que l’homme de neige prenne plaisir à voir combien il a peu d’amis, puisque l’on continue à se divertir chez lui comme si de rien n’était.

— Pourtant, Marguerite, vous admirez son courage, et il réussit à produire, même sur vous, l’effet qu’il désire.

— Mon cher confident, reprit Marguerite gaiement, sachez qu’à présent je n’ai presque plus d’aversion pour le baron. Il me devient indifférent, et je lui pardonne tout. Il épouse ;… mais c’est un secret