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Il n’eut pas le courage de répondre qu’il n’y tenait pas, cela était au-dessus de ses forces ; mais il sentit qu’il était temps de finir cette comédie, dangereuse, sinon pour la jeune comtesse, du moins pour lui-même, et, saisi d’un vertige de loyauté, il se hâta de lui dire : — Je tenais à rester pour vous détromper, je ne suis pas ce que vous croyez. Je suis ce que je vous dis, Christian Waldo.

— Je ne comprends pas, reprit-elle ; n’est-ce pas assez de m’avoir mystifiée une fois ? Pourquoi voulez-vous jouer encore un rôle ? Croyez-vous que je n’aie pas reconnu votre voix quand vous faisiez parler les marionnettes de Christian Waldo avec tant d’esprit ? J’ai bien remarqué que vous en aviez plus que lui…

— Comment donc arrangez-vous cela ? dit Christian étonné. Qui donc croyez-vous avoir entendu ce soir ?

— Vous et lui. Il y avait deux voix, j’en suis sûre, peut-être trois qui seraient… la vôtre, celle de ce Waldo, et celle de son valet.

— Il n’y en avait que deux, je vous le jure.

— Soit ! qu’importe ? j’ai reconnu la vôtre, vous dis-je, vous ne me tromperez pas là-dessus.

— Eh bien ! la mienne, c’est la mienne, je ne le nie pas, mais il faut que vous sachiez…

— Écoutez, écoutez ! s’écria Marguerite. Oh ! voyez, on proclame le nom du vainqueur de la course, c’est Christian Waldo, ce me semble. Oui, oui, j’en suis sûre, j’entends bien le nom, et je vois très-bien l’homme masqué debout sur son petit traîneau noir. C’est lui ! c’est le véritable ! vous n’êtes qu’un Waldo de contrebande… C’est égal, monsieur Goefle, vous lui en remontreriez ; les plus jolies choses de la pièce et les mieux dites, le rôle d’Alonzo tout entier, c’était vous ! voyons, donnez votre parole d’honneur que je me suis trompée !

— Quant au rôle d’Alonzo, je ne puis le nier.

— Est-ce que vous jouerez encore demain, monsieur Goefle ?

— Certainement !

— Ce sera bien aimable à vous ! Pour ma part, je vous en remercie ; mais personne ne s’en doutera, n’est-ce pas ? Tenez-vous bien caché au Stollborg. Au reste, je vois avec plaisir que vous êtes prudent, et que vous savez vous bien déguiser. Personne ne peut vous reconnaître sous les habits que vous avez là ; mais sauvez-vous ! Voilà que l’on remonte en voiture pour pousser jusqu’au högar et complimenter le vainqueur. Ma tante va sûrement… Non, elle monte dans le traîneau de l’ambassadeur russe… Elle me laisse seule ? Voyez-vous, monsieur Christian, une mère ne ferait pas cela ! Une tante jeune et belle, ce n’est pas une mère, il est vrai !… Attendez !