Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tous ces motifs d’agitation, un trouble étrange, vague encore, mais plus funeste à sa santé que tous ceux dont il avait l’habitude, était entré dans son esprit. Des soupçons effacés, des craintes longtemps assoupies s’étaient réveillés depuis le bal de la veille, et encore plus depuis la représentation des burattini. Il en était résulté un de ces états nerveux qui lui mettaient la bouche de travers, tandis qu’un de ses yeux se mettait à loucher considérablement. Comme il attachait une immense vanité à la beauté de sa figure flétrie, mais noble et régulière, et cela surtout dans un moment où il s’occupait de mariage, il se cachait avec soin dès qu’il se sentait ainsi contracté, et il se faisait soigner pour hâter la fin de la crise.

Aussi, dès qu’il eut fait un somme, son premier soin fut-il de se regarder dans un miroir posé près de lui. Satisfait de se voir rendu à son état naturel : — Allons, dit-il au médecin, en voilà encore une de passée ! J’ai bien dormi, ce me semble. Ai-je rêvé, docteur ?

— Non, répondit le jeune homme, troublé du mensonge qu’il faisait.

— Vous ne dites pas cela franchement, reprit le baron. Voyons, si j’ai parlé haut, il faut en tenir note et me le rapporter exactement ; vous savez que je le veux.

— Vous n’avez dit que des paroles sans suite et dépourvues de sens, qui ne trahissaient aucune pensée dominante.

— Alors c’est que réellement vos drogues ont un bon effet. Le médecin qui vous a précédé ici me racontait mes rêves… Ils étaient bizarres, affreux ! Il paraît que je n’en ai plus que d’insignifians.

— N’en avez-vous pas conscience, monsieur le baron ? N’êtes-vous pas moins fatigué qu’autrefois en vous éveillant ?

— Non, je ne peux pas dire cela.

— Cela viendra.

— Dieu le veuille ! À présent laissez-moi, docteur, allez vous coucher ; si j’ai besoin de vous, je vous ferai éveiller ; je sens que je dormirai encore. Envoyez-moi mon valet de chambre ; je veux essayer de me mettre au lit.

— Le médecin qui m’a précédé ici, se dit le jeune docteur en se retirant, a entendu trop de choses et il en a trop redit. Le baron l’a su, ils se sont brouillés ; le médecin a été persécuté, forcé de s’exiler… C’est une leçon pour moi.

Cependant Christian avait rejoint M. Goefle au Stollborg. Le docteur en droit était triomphant. Il avait forcé la serrure d’une des vastes armoires de la chambre de garde, et il avait trouvé quelques vêtemens de femme d’un assez grand luxe.

— Cela, dit-il à Christian, c’est, à coup sûr, un reste oublié, ou conservé religieusement par Stenson, de la garde-robe de la baronne