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embrassant Olga, je refuse la guerre, ma chère enfant, et je vous remercie du fond de mon âme de m’avoir montré ce gage de vos fiançailles. Gardez mon bracelet, je vous en supplie ! Gardez ma reconnaissance et mon amitié.

Olga fondit en larmes. — Marguerite, dit-elle, si vous parlez, je suis perdue ! J’avais juré de me taire pendant huit jours, et si vous laissez voir votre joie, le baron me reprendra sa parole et pensera encore à vous,… d’autant plus qu’il y pense toujours.

— Et vous pleurez à cause de cela ?… Olga, vous l’aimez donc, vous ? Eh bien ! ma chère amie, quelque bizarre que cette inclination-là me paraisse, elle vous relève à mes yeux. Je croyais que vous n’étiez qu’ambitieuse. Si vous aimez, je vous aime et je vous plains !

— Ah ! s’écria Olga, vous me plaignez, n’est-ce pas ?

Et, entraînant Marguerite tout au fond de la galerie, elle sanglota sur son épaule jusqu’à être près de crier. Marguerite l’emmena dans sa chambre, où elle la soigna et parvint à la calmer.

— Oui, oui, me voilà bien à présent, dit Olga en se levant. J’ai eu deux ou trois de ces crises depuis hier ; mais celle-ci est la dernière, je le sens. Mon parti est pris ; je serai calme, j’ai confiance en vous, je ne serai plus faible, je n’aurai plus peur, je ne souffrirai plus !

Elle reprit la bague dans sa poche, la mit à son doigt, et redevint pâle en la contemplant d’un air morne ; puis elle l’ôta en disant : « Je ne dois pas la porter encore. » Et elle la remit dans la boîte et dans sa poche.

Marguerite la quitta sans avoir rien compris à ce qui se passait en elle. Cette passion pour un homme de l’âge et du caractère du baron lui paraissait inexplicable, mais elle avait la généreuse simplicité d’y croire, tandis qu’Olga, prise tout à coup de haine pour son fiancé et de dégoût pour son anneau d’alliance, luttait contre ce qu’elle appelait la faiblesse humaine, et s’exerçait à tuer les révoltes de son propre cœur, de son propre esprit et de tout son être, pour arriver à l’amère et dangereuse conquête d’un grand nom et d’une grande position sociale.

Quant au baron, il avait donné des ordres pour la course et pour la mascarade, comme s’il eût dû y prendre part. Puis, vaincu par la fatigue et la souffrance, il se retira dans sa chambre, tandis que ses hôtes se préparaient à suivre le programme de la fête et que ses chevaux, magnifiquement harnachés, piaffaient devant son escalier particulier, sous la main d’un cocher qui faisait mine d’attendre.

Le baron s’était enfermé avec son médecin, un jeune homme plus instruit qu’expérimenté, que depuis un an il avait attaché exclusivement au soin de sa personne.

— Docteur, lui disait-il en repoussant une potion que lui pré-