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et ses complaisans se hâtaient de rire et se chargeaient de faire circuler ses mots. Ceux de ses hôtes qui s’en trouvaient scandalisés se reprochaient d’être venus chez lui, situation qui les empêchait de le contredire, sinon avec de grands ménagemens. Ces ménagemens empiraient nécessairement les accusations portées contre les absens. Le baron répétait son dire d’un air de bravade dédaigneuse, ses flatteurs le soutenaient avec âpreté. Les honnêtes gens soupiraient et rougissaient de la faiblesse qui les avait amenés dans cet antre ; mais le baron ne prolongeait aucune discussion. Il lançait un mot méchant contre les bienveillans et les timides ; puis il se levait et s’en allait sans qu’on sût s’il devait revenir. On restait contraint jusqu’à ce que son absence définitive fût constatée. Alors tout le monde respirait, même les méchans, qui n’étaient pas les moins anxieux en sa présence. Néanmoins le baron perdit cette fois une bien belle occasion de se venger et de faire souffrir. S’il eût été renseigné sur la double visite de Marguerite au Stollborg, il ne se fût pas fait faute de la divulguer avec amertume. Heureusement la Providence avait protégé l’innocent secret de ces deux visites, et l’ennemi, qui en eût tiré des indices certains de la présence du faux Goefle au Stollborg, n’en avait reçu aucun avis. Johan avait bien fait questionner Ulphilas sur toutes les personnes qu’il avait pu voir au Stollborg dans la journée ; mais Ulphilas, qui n’avait pas vu Marguerite, avait eu, relativement à la figure de Christian, un motif plausible pour répondre fort à propos : c’est la terreur que Christian lui avait inspirée avec ses grimaces et ses paroles menaçantes dans une langue inconnue. Il l’avait vu sans masque beaucoup plus effrayant qu’il n’était apparu à Johan lui-même, et, d’après ses réponses, Johan s’était trouvé confirmé dans son sentiment et le baron dans son erreur. Les renseignemens en étaient donc arrivés à cette conclusion, que le beau Christian Goefle avait disparu, et que le véritable Christian Waldo était un monstre.

Le baron apporta au souper cette dernière nouvelle avec une sorte de satisfaction, car, au moment où il arriva, on faisait encore l’éloge de l’artiste, et il éprouva un certain plaisir à dépoétiser l’homme.

— Vous avez tort, monsieur le baron, lui dit Olga, de lui ôter son prestige aux yeux de la comtesse Marguerite, car elle était enthousiasmée de son débit, et je parie que demain elle n’aura plus aucun plaisir à l’écouter.

Marguerite, placée à peu de distance d’Olga et du baron, feignit de ne pas entendre, afin de se dispenser d’avoir à répondre au baron, s’il cherchait à lier conversation avec elle, comme il l’avait fait plusieurs fois depuis la veille sans y réussir.

— Vous pensez donc, reprit le baron, s’adressant toujours à Olga, mais parlant assez haut, que la comtesse Marguerite n’est