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— C’est fort bien fait ; tu l’avais mérité, toi.

— Te rappelles-tu, Christian, la somme qui t’a été soustraite ?

— Parfaitement.

— Et seras-tu encore au Stollborg demain ?

— Je n’en sais rien. Cela ne te regarde pas.

— Si fait ! demain je veux te porter cette somme.

— Épargne-toi cette peine. Je suis chez moi au Stollborg, et je ne reçois pas.

— Pourtant…

— Tais-toi ! j’ai assez de t’entendre.

— Mais si je te porte l’argent…

— Est-ce le même que tu as pris sur moi ? Non, n’est-ce pas ? Il y a longtemps que tu l’as bu ? Eh bien ! comme ce ne peut être le même, et que celui que tu m’offres ne peut provenir que d’un vol ou de quelque chose de pis, s’il est possible, je n’en veux pas. Tiens-le-toi pour dit et dispense-toi de tes forfanteries de restitution. Je ne suis pas assez sot pour y croire, et quand j’y croirais, je n’en serais pas moins décidé à te jeter à la face le prix de tes sales exploits.

Christian fit le geste de pousser dehors Guido, qui obéit enfin et sortit. L’operante allait s’enfermer, quand M. Goefle, tout emmitouflé de fourrures, lui apparut dans l’escalier, le manuscrit à la main. L’avocat avait mangé vite ou point ; il avait dévoré la pièce, il s’en était pénétré rapidement, et, craignant de n’avoir pas le temps nécessaire pour se préparer, il était venu à pied, à la clarté des étoiles, cachant sa figure et déguisant sa voix pour demander la chambre aux marionnettes, enfin prenant toutes les précautions d’un jeune aventurier allant à quelque mystérieux rendez-vous d’amour. En ce moment, il n’avait en tête que les burattini, et il ne songeait pas plus aux mystères du Stollborg que s’il ne s’en fût jamais tourmenté l’esprit ; mais, comme il montait légèrement l’escalier, il se trouva pour la seconde fois de la soirée forcé de passer tout près d’un personnage de mauvaise mine qui descendait, et cette rencontre le rejeta dans ses préoccupations par rapport au baron Olaüs, à Stenson et à la défunte Hilda.

— Attendez ! dit-il à Christian, qui le félicitait gaiement de son zèle. Regardez cet homme qui s’en va là-bas dans le corridor après s’être croisé avec moi dans l’escalier. Sort-il d’ici ? Est-ce un valet du baron ? Le connaissez-vous ?

— Je ne le connais que trop, et je viens d’être forcé de lui dire son fait, répondit Christian. Cet homme, valet ou non, est Guido Massarelli, dont je vous ai raconté ce matin les aventures avec les miennes.