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entends-tu ? Baisse le ton, baisse les yeux, canaille ! À genoux devant moi, ou dès à présent je te frappe !

Guido, devenu pâle comme la mort, se laissa tomber à genoux, sans rien dire ; de grosses larmes de peur, de honte ou de rage coulaient sur ses joues.

— C’est bon, lui dit Christian, partagé entre le dégoût et la pitié ; à présent lève-toi et va-t’en : je te fais grâce ; mais ne te retrouve jamais sur mon chemin et ne m’adresse jamais la parole, en quelque lieu que je te rencontre. Tu es mort pour moi. Sors d’ici, valet ! cette chambre est à moi pour deux ou trois heures.

— Christian, s’écria Guido en se relevant avec une véhémence affectée ou sincère, écoute-moi seulement cinq minutes !

— Non.

— Christian, écoute-moi, reprit le bandit en se jetant contre la porte de l’escalier que Christian voulait lui faire franchir, j’ai quelque chose de grave à te dire, quelque chose d’où dépendent ta fortune et ta vie !

— Ma fortune, dit Christian en riant avec mépris, elle a passé dans ta poche, voleur ! Mais c’était si peu de chose que je ne m’en soucie guère à présent ; quant à ma vie, essaie donc de la prendre !

— Elle a été dans mes mains, Christian, reprit Guido, qui, assuré de la générosité de son ennemi, avait recouvré son aplomb : elle peut s’y trouver une seconde fois. J’avais été outragé par toi, et la vengeance me sollicitait vivement ; mais je n’ai pu oublier que je t’avais aimé, et maintenant encore, malgré tes nouveaux outrages, il ne tient qu’à toi que je ne t’aime comme par le passé !

— Grand merci, répliqua Christian en levant les épaules. Allons ! je n’ai pas le temps d’écouter tes hâbleries pathétiques ; il y a longtemps que je les connais.

— Je ne suis pas si coupable que tu crois, Christian ; quand je t’ai dépouillé dans la montagne des Karpathes, je n’étais plus le maître d’agir autrement.

— C’est ce que disent tous ceux qui se sont voués au diable.

— J’étais voué au diable en effet ; j’étais chef de brigands ! Mes complices t’avaient signalé ; ils avaient les yeux sur nous : si je n’eusse pris soin de t’enivrer pour t’empêcher de faire une folle résistance, ils t’eussent assassiné.

— Ainsi je te dois des remerciemens, c’est là ta conclusion ?

— Ma conclusion, la voici. Je suis sur le chemin de la fortune ; demain je serai déjà en position de te restituer ce que j’ai été forcé de te laisser prendre par des hommes que je ne gouvernais pas à mon gré, et qui, peu de jours après, m’ont dépouillé moi-même et abandonné dans la situation où ils t’avaient laissé.