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Christian stupéfait se retourna, et vit debout derrière lui un personnage bien mis, propre et rasé de frais, qui n’était autre que Guido Massarelli.

— Quoi ! c’est vous ! s’écria Christian. Que faites-vous ici, quand votre place serait au bout d’une corde au carrefour d’un bois ? — Je suis de la maison, répondit Guido avec un sourire tranquille et dédaigneux.

— Vous êtes de la maison du baron ? Ah ! oui ; cela ne m’étonne pas… Après avoir été escroc et voleur de grands chemins, il ne vous restait plus qu’à vous faire laquais !

— Je ne suis pas laquais, reprit Massarelli avec la même tranquillité, je suis ami de la maison, très ami, Christian ! et tu ferais bien de tâcher d’être aussi le mien ; c’est ce qui pourrait t’arriver maintenant de plus heureux.

— Maître Guido, dit Christian en prenant son théâtre pour le replacer dans le salon d’attente, il n’est pas nécessaire de nous expliquer ici ; mais, puisque vous y demeurez, je suis content de savoir où vous retrouver.

— Est-ce une menace, Christian ?

— Non, c’est une promesse. Je suis votre débiteur, cher ami, vous le savez, et quand j’aurai payé ma dette ici, qui est de donner une représentation de marionnettes dans une heure, j’aurai affaire à vous pour vous solder la plus belle volée de coups de bâton que vous ayez reçue de votre vie.

Christian, en parlant ainsi, était rentré dans son foyer ; il y était occupé à éteindre ses bougies et à baisser sa toile. Massarelli l’avait suivi en refermant les portes de la galerie derrière lui. Comme en ce moment Christian était encore forcé de lui tourner le dos, il se dit bien que ce bandit était capable de profiter du tête-à-tête pour essayer de l’assassiner ; mais il le méprisait trop pour lui laisser voir sa méfiance, et il continua à lui promettre, sur un ton aussi tranquille que celui affecté par ce misérable, un sévère châtiment de ses méfaits. Heureusement pour l’imprudent Christian, Guido n’était pas brave, et il se tint à distance, prêt à fuir, si son adversaire faisait mine de lui donner un à-compte sur le paiement promis.

— Voyons, Christian, reprit-il quand il pensa que le jeune homme avait exhalé son premier ressentiment, parlons froidement avant d’en venir aux extrémités. Je suis prêt à te rendre raison de mes procédés envers toi ; tu n’as donc pas bonne grâce à outrager en vaines paroles un homme que tu sais bien ne pouvoir effrayer.

— Tu me fais pitié ! répondit Christian irrité, en allant droit à lui. Te demander raison à toi, le lâche des lâches ! Non, Guido, on soufflette un homme de ton espèce, après quoi, s’il regimbe, on le roue de coups comme un chien ; mais on ne se bat pas avec lui,