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Mon Dieu ! il faut que quelque chose de fâcheux soit arrivé à cette famille pour que l’oncle et le neveu aient pu oublier ce que je leur avais promis ; mais ils ont dû laisser une lettre pour moi. Il faut que j’aille la chercher.

— Ils n’ont pas laissé de lettre, reprit Christian, s’avisant d’un nouvel expédient ; ils m’ont chargé de dire à un certain M. Stangstadius, au château neuf, qu’ils étaient forcés de partir, et c’est pour cela que je vais au château neuf.

— Un certain M. Stangstadius ! s’écria le savant indigné ; ils ont dit un certain ?

— Non, monsieur, c’est moi qui dis cela. Je ne le connais pas, moi, ce M. Stangstadius !

— Ah ! c’est toi qui dis cela, imbécile ! Un certain Stangstadius ! que tu ne connais pas, double brute ! C’est bon, à la bonne heure. Eh bien ! apprends à me connaître : c’est moi qui suis le premier naturaliste… Mais à quoi bon ! Il y a d’étranges crétins sur cette pauvre terre !… Arrête donc ton cheval, animal ! Ne t’ai-je pas dit que je voulais monter dessus ? Je suis fatigué, te dis-je !… Crois-tu que je ne sache pas conduire n’importe quelle bête ?

— Voyons, voyons, monsieur le savant, reprit Christian avec sang-froid, quoiqu’il se sentît très ennuyé de cette rencontre, qui le retardait encore ; vous voyez bien que cette pauvre bête est chargée jusqu’aux oreilles.

— La belle affaire ! Pose là ton chargement, et tu reviendras le reprendre.

— C’est impossible, je n’ai pas le temps.

— Quoi ! tu me refuses ? Quel sauvage es-tu donc ? Voici le premier paysan suédois qui refuse son assistance au docteur Stangstadius !… J’en porterai plainte, je t’en réponds, malheureux ! Je porterai plainte contre toi !

— À qui ? Au baron de Waldemora ?

— Non, car il te ferait pendre, et tu n’aurais que ce que tu mérites… Je veux que tu saches que je suis bon ; je suis le meilleur des hommes, et je te fais grâce.

— Bah ! reprit Christian, qui ne pouvait s’empêcher de se divertir un peu des figures hétéroclites qui se croisaient dans sa vie errante, je ne vous connais pas, et il vous plaît de vous faire passer pour qui vous n’êtes point. Un naturaliste, vous ? Allons donc ! Vous ne distinguez pas seulement un cheval d’un âne !

— Un âne ? reprit Stangstadius, heureusement distrait de sa fantaisie d’équitation ; tu prétends avoir là un âne ?… — Et il promena sa lanterne autour de Jean, qui, grâce aux soins de son maître, était si bien enveloppé de peaux de divers animaux, qu’il était vrai-