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— Respirer ! oh ! que non pas ! l’operante ne se repose jamais. Il faut nous hâter de prendre d’autres personnages pour la scène suivante, et, afin que le public ne se refroidisse pas devant le théâtre vide, il faut parler toujours, comme si les anciens acteurs se disputaient encore dans la coulisse, ou comme si les nouveaux approchaient en devisant sur ce qui vient de se passer.

— Peste ! mais c’est un métier de cheval que nous faisons là !

— Je ne vous dis pas le contraire ; mais les nerfs s’excitent, et l’on va de mieux en mieux. Voyons, monsieur Goefle, à une autre scène ! Faisons comparaître…

— Mais j’en ai assez, moi ! Croyez-vous donc que je veuille montrer les marionnettes ?

— J’ai cru que vous vouliez m’aider à les montrer ce soir !

— Moi ! que je me donne en spectacle !

— Qui saura que c’est vous ? On dresse le théâtre devant une porte donnant dans une pièce où personne ne pénètre. Une tapisserie vous isole du public. Au besoin, on se masque, si l’on risque d’être rencontré dans les corridors en entrant et en sortant.

— C’est vrai, personne ne vous voit, personne ne sait que vous êtes là ; mais ma voix, ma prononciation !… Tout le monde dira dès mes premiers mots : Bon, c’est monsieur Goefle ! Eh bien ! cela fera un joli effet ! Un homme de mon âge, exerçant une profession grave ! C’est impossible, ne songeons point à cela.

— C’est dommage, vous alliez bien !

— Vous trouvez ?

— Mais certainement, vous m’auriez fait avoir un grand succès !

— Mais ma diable de voix que tout le monde connaît…

— Il y a mille manières de changer son organe. En un quart d’heure, je vous en indiquerais trois ou quatre, et c’est plus qu’il n’en faudrait pour ce soir.

— Essayons. Si j’étais sûr que personne ne se doutât de ma folie ! Ah ! voici un instrument dont je comprends l’usage, c’est un pince-nez… Et ceci est pour mettre dans la bouche, soit sur la langue, soit en dessous.

— Non, non, dit Christian, ce sont là des procédés grossiers à l’usage de Puffo. Vous êtes trop intelligent pour en avoir besoin. Écoutez-moi et imitez-moi.

— Au fait, dit M. Goefle après quelques essais promptement réussis, ce n’est pas bien malin ! J’ai joué la comédie de société dans mon jeune temps pas plus mal qu’un autre, et je savais bien comment il faut faire le vieillard édenté, le fat qui blaise, le pédant qui se lèche les lèvres à chaque parole. Allons, allons, pourvu que vous ne me fassiez pas trop parler et fatiguer le gosier, je me charge bien de vous donner la réplique pour trois ou quatre scènes. Il