Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/496

Cette page a été validée par deux contributeurs.

non interrompue, véritable chaîne d’or qui rattache le monde ancien à celui où nous vivons. Antérieurs de près de cinq siècles aux écrivains musulmans, les auteurs arméniens sont les meilleurs guides, et l’on pourrait dire les seuls, que nous présente l’Orient pour l’étude des faits accomplis dans l’Asie occidentale à une époque où elle obéissait presque tout entière aux princes de la dynastie des Sassanides de Perse (226-651 après Jésus-Christ). Ils appartiennent en effet à une nation qui, d’abord soumise à la suzeraineté de ces puissans monarques, et ensuite, après avoir lutté pour défendre un reste d’indépendance, absorbée dans leur vaste empire, fournit des contingens et des généraux à leurs armées, des employés à leurs chancelleries, des alliances aux plus illustres familles de la Perse et à celle des Sassanides elle-même, tandis que ses chefs, ses patriarches et ses évêques ne cessaient de fréquenter la cour de Ctésiphon. De ce contact entre les deux royaumes, encore plus intime dans les âges antérieurs, sous les Arsacides, lorsque les deux branches principales de cette famille s’étaient partagé la Perse et l’Arménie, résulta une communauté de civilisation et pendant longtemps de croyances religieuses dont plus d’un souvenir se retrouve dans les auteurs arméniens primitifs. Lorsqu’au IIIe siècle de notre ère une scission s’opéra dans cette unité de croyance par la restauration en Perse de l’ancien culte de Zoroastre à l’avènement des Sassanides et par la conversion de l’Arménie à la foi de l’Évangile, ce dernier pays tendait à s’unir plus que jamais politiquement à la Perse par l’incorporation définitive dans la monarchie des Sassanides de toute la partie orientale de son territoire.

Si, d’un côté, l’Arménie se rattachait à l’Orient, de l’autre elle fut en communication non moins étroite avec le monde occidental. Dans le siècle qui précéda la naissance de Jésus-Christ, triomphante et glorieuse un instant sous son souverain Tigrane le Grand, elle ne tarda pas à être entamée par les armées romaines et forcée de payer un tribut aux césars. Le christianisme, qui lui vint de l’école de Césarée de Cappadoce, l’entraîna à la culture et à un amour passionné des lettres grecques. On la vit dès lors flotter entre ces deux influences, orientale et occidentale, pencher entre les deux dominations, perse, romaine ou byzantine, qui s’en disputaient la possession. Sa littérature à cette époque reflète l’action de ce double mouvement et l’influence de ces deux courans d’idées opposées. Orientaux par leur position géographique et leurs traditions, les Arméniens furent alors transformés et imprégnés d’hellénisme par leur éducation littéraire et religieuse. Dans leurs annales apparaissent plusieurs des noms les plus célèbres de l’histoire romaine et byzantine, Lucullus et Pompée, Mithridate et Tigrane, Antoine et Corbulon, et plus tard Héraclius, Chosroès le Grand, Yezdedjerd, et autres sur lesquels il n’est pas moins précieux de pouvoir les interroger. C’est chez les Arméniens, soumis pendant près de six cents ans aux Parthes (qui leur donnèrent une longue suite de souverains, leur apôtre national, saint Grégoire l’Illuminateur, et leurs premiers et plus glorieux patriarches, et de qui descendaient les plus illustres familles de l’Arménie), que la tradition de

    M. Edouard Dulaurier, — Chronique de Matthieu d’Edesse (962-1136), continuée par Grégoire le Prêtre jusqu’en 1162, d’après trois manuscrits de la Bibliothèque impériale de Paris. — Durand, libraire-éditeur, rue des Grés, 7.