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dans un moment où il me sauvait la vie. Il était, comme moi désormais, dans le plus complet dénûment. Il avait pris la fuite avec quelques écus dont il s’était servi pour acheter à un saltimbanque l’établissement de marionnettes qui ne lui servait pas tant à gagner sa vie qu’à cacher sa figure.

— Vois-tu, me dit-il, l’état que je fais maintenant est, de ma part, un trait de génie. Il y a déjà deux mois que je parcours le royaume de Naples sans être reconnu. Tu me demanderas comment je ne me suis pas sauvé plus loin : c’est que plus loin j’ai aussi des créanciers, et qu’à moins d’aller jusqu’en France, j’en trouverai toujours sur mon chemin. Et puis j’avais laissé à Naples de petites aventures d’amour qui me chatouillaient encore le cœur, et je me suis tenu dans les environs. Grâce à cette légère guérite de toile, je suis invisible au milieu de la foule. Tandis que tous les yeux sont fixés sur mes burattini, personne ne songe à se demander quel est l’homme qui les fait mouvoir. Je passe d’un quartier à l’autre, marchant debout dans ma carapace, et, une fois hors de là, nul ne sait si je suis le même homme qui a diverti l’assistance.

— Certes voilà une idée, lui répondis-je ; mais que comptes-tu faire à présent ?

— Ce que tu voudras, répondit-il. Je suis si heureux de te retrouver et de te servir que je suis prêta te suivre où tu me conduiras. Je te sais plus attaché que je ne peux dire. Tu as toujours été indulgent pour moi. Tu n’étais pas riche, et tu as fait pour moi en proportion plus que les riches ; tu m’as défendu quand on m’accusait, tu m’as reproché mes égaremens, mais en me peignant toujours à mes propres yeux comme capable d’en sortir. Je ne sais si tu as raison, mais il est certain que pour te complaire je ferai un effort suprême, pourvu que ce soit hors de l’Italie, car en Italie, vois-tu, je suis perdu, déshonoré, et il faut que j’aille à l’étranger, sous un autre nom, si je veux tenter une meilleure vie.

« Guido parlait d’un air convaincu, et même il versait des larmes. Je le savais bon, et je le crus sincère. Il l’était peut-être en ce moment. À vous dire le vrai, je me suis toujours senti une grande indulgence pour ceux qui sont généreux en même temps que prodigues, et Guido, à ma connaissance, avait été plusieurs fois dans ce cas-là. C’est vous dire, monsieur Goefle, que je ne confonds pas la libéralité avec le désordre égoïste, bien que j’aie péché maintes fois sur ce dernier chef, tant il y a que je me laissai persuader et attendrir par mon ancien camarade, par mon nouvel ami, et que nous voilà sur les terres papales, déjeunant frugalement ensemble, à l’ombre d’un bouquet de pins, et faisant un plan de conduite à nous deux.