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été conservé par Valère Maxime. En un mot, si d’Urfé, comme cela se pratique quelquefois aujourd’hui pour des ouvrages d’une érudition douteuse, avait jugé à propos de terminer son roman par la liste de tous les auteurs qu’il a consultés, on serait frappé de l’immense quantité de ses lectures, et l’on dirait peut-être le savant auteur de l’Astrée.

Nous finirons par un mot sur un dernier caractère de ce roman, qui a contribué aussi à son succès : nous voulons parler des allusions qui s’y trouvent, non plus seulement à la vie de d’Urfé, mais à celle de divers personnages du règne de Henri IV. Il ne faut point abuser de ce genre d’explications, qui porte sur ce qu’on appelle les clés d’un roman, pour deux motifs : le premier, c’est qu’avec un peu de bonne volonté on fait d’une clé un passe-partout qui ouvre indistinctement toutes les portes ; le second, c’est que telle allusion qui a pu intéresser soit l’auteur, soit les contemporains, n’intéresse plus du tout la postérité. Nous pensons donc qu’il est assez indifférent au lecteur d’être fixé sur la question de savoir si le grand druide Adamas, par exemple, représente ou non le savant jurisconsulte Jean Papon, lieutenant-général du bailliage de Montbrison, ou si cette bergère Dorinde, qui discutait tout à l’heure avec Sylvandre sur l’insensibilité des hommes, est bien, comme l’affirme Patru, une demoiselle Pajot. Cela nous importe fort peu ; mais quand on voit d’Urfé s’emparer de personnages et de faits connus, et, sous de très légers déguisemens, nous raconter ce qu’il sait d’une histoire vraie et intéressante, la question change de face. Ainsi, et pour ne citer qu’un seul de ces épisodes à allusion qui se rencontrent dans l’Astrée, il est parfaitement évident que l’histoire d’Euric, de Daphnide et d’Alcidon, qu’on lit dans le troisième volume, lequel parut après la mort de Henri IV, est un récit qui s’applique aux rapports de Gabrielle d’Estrées avec Henri IV, qui est Euric, roi des Visigoths, et Bellegarde, représenté par Alcidon. Tout ce qui s’est passé entre ces trois personnages nous est raconté par d’Urfé avec des détails conformes à d’autres récits de l’époque, notamment à l’ouvrage intitulé Amours du grand Alcandre et attribué à Mlle de Guise, depuis princesse de Conti. D’Urfé, qui est très bien renseigné de son côté, a fait de cette histoire un des chapitres les plus agréables et les plus variés de son roman, car, indépendamment des trois caractères principaux, on y reconnaît un assez grand nombre d’autres figures qui appartiennent à la cour de Henri IV. Le jargon très mélangé et un peu tendu, qui fatigue souvent dans l’Astrée, est parfois heureusement remplacé dans cet épisode par un langage plus authentique, sinon plus naturel. En lisant les conversations ou les lettres d’Euric, de Daphnide et d’Alcidon, on a l’impression du vrai