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quoi qui donne la vie aux livres est terni dedans ma vieillesse, et à peu dire, le temps qui court maintenant est revêtu de tout autre parure que le nôtre. Me faisant de cette façon mon procès et à mes livres, voici le jugement que j’ai fait du vôtre[1]… » Et Pasquier termine par une appréciation enthousiaste de l’Astrée[2].


IV

Ce n’était pas seulement le style de l’Astrée qui offrait aux esprits le charme de la nouveauté ; ce charme se rencontrait aussi dans les caractères, les sentimens, les idées, les controverses de métaphysique, de morale et de galanterie, les paysages, les scènes historiques très variées, enfin les allusions contemporaines : toutes ces choses donnaient à l’ouvrage de d’Urfé une saveur particulière, qui, quoique très affaiblie pour nous, subsiste encore et nous permet au moins de comprendre l’éclatant succès de ce roman. Si en effet nous faisons abstraction du genre, qui est faux, et du tissu de l’action en général, qui est très faible, pour considérer isolément les différens points que nous venons d’indiquer, nous verrons que cette vaste composition n’est dépourvue ni d’originalité, ni d’agrément.

D’abord, quant aux caractères, il y en a de plus intéressans que ceux des deux principaux personnages. On dirait que d’Urfé a voulu mettre en avant deux types excessifs, vagues et incohérens, pour écarter les chercheurs d’allusions et se donner la liberté de dessiner au second plan des figures plus naturelles. Céladon est tout à la fois le plus timide, le plus délicat, le plus audacieux et le plus vulgaire des amans ; il tremble comme la feuille à l’idée de désobéir à sa bergère, et on le voit à plusieurs reprises employer et soutenir avec une rare impudence les supercheries les plus effrontées pour pouvoir la contempler dans le costume de la Vénus de Médicis. Quant à Astrée, elle est d’une crédulité, d’une facilité et d’une sévérité qui dépassent également toute mesure. Leurs discours, en

  1. Lettres d’Estienne Pasquier, œuvres complètes, édition in-folio, t. II, p. 584.
  2. La lettre d’envoi de d’Urfé, qui motive la réponse d’Etienne Pasquier, nous fournit un argument que nous avons oublié de faire valoir quand nous avons combattu (Revue du 1er décembre 1857) comme beaucoup trop absolue l’opinion de M. Bernard (de Montbrison) sur les rapports que Patru indique entre les fictions de l’Astrée et la vie de l’auteur. M. Bernard déclare qu’il n’y en a aucun, et cependant d’Urfé lui-même, qui apparemment doit en savoir quelque chose, écrit à Etienne Pasquier, en lui envoyant l’Astrée, cette phrase, dont la construction par parenthèse est plus incorrecte que celle des phrases de Céladon, mais dont le sens est très net : « Cette bergère que je vous envoie n’est véritablement que l’histoire de ma jeunesse, sous la personne de qui j’ai représenté les diverses passions ou plutôt folies qui m’ont tourmenté l’espace de cinq ou six ans. »