Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi, lorsque vous vous présentez ici, cette eau reçoit la figure de votre esprit et non pas de votre corps, et, votre esprit étant changé en Sylvie, il représente Sylvie, non pas vous. Que si Sylvie vous aimait, elle serait changée aussi bien en vous que vous en elle, et ainsi représentant votre esprit, vous verriez Sylvie, et voyant Sylvie changée, comme je vous ai dit, par cet amour, vous vous y verriez aussi[1]. »

L’indifférence de cette nymphe Sylvie ayant fait le désespoir de plusieurs chevaliers, le druide Adamas a obtenu des dieux que la fontaine ne serait plus accessible à personne. Il lui a fait subir un enchantement, et l’a mise sous la garde de deux lions et de deux licornes disposés à dévorer quiconque en approcherait. Ce charme ne peut être rompu que par un cas d’extrême amour. Or c’est ce cas d’extrême amour qui fournit à Baro sa conclusion. Céladon, à qui Astrée a ordonné de mourir en lui laissant le choix des moyens, ayant déjà tenté vainement une fois de se noyer, se décide, pour être plus sûr de son fait, à venir s’abandonner à la voracité des lions et des licornes qui gardent la fontaine. Il ne sait pas au juste, et nous ne le savons pas plus que lui, si les licornes sont anthropophages ; mais comme les lions le sont incontestablement, il a toute raison d’espérer que pour cette fois il n’en réchappera pas. Sur son chemin, il rencontre un autre berger, Sylvandre, qui, ne pouvant épouser sa bergère Diane, est comme lui en proie au plus violent désespoir amoureux. Céladon lui fait part du genre de mort qu’il a choisi : Sylvandre l’adopte avec empressement pour lui-même, et déjà tous les deux se dirigent vers les deux lions et les deux licornes, quand ils aperçoivent, ô prodige ! deux bergères endormies à quelques pas de la fontaine ; les deux licornes sont venues se coucher paisiblement auprès d’elles. Ces deux bergères sont Astrée et Diane, qui, partageant le désespoir de leurs bergers, ont choisi précisément le même genre de mort ; mais au lieu de les dévorer, comme les bergères s’y attendaient, les licornes leur témoignent le plus grand respect, et veillent sur elles tandis qu’une influence magique les a plongées dans un profond sommeil. Céladon et Sylvandre, qui les croient mortes, s’avancent vers les lions, qui se précipitent sur eux ; aussitôt les licornes se jettent sur les lions, et la scène, en se prolongeant, commence à paraître un peu bien fastidieuse, lorsque l’auteur se décide enfin à faire intervenir les puissances supérieures. Le ciel se couvre de nuages, un épais brouillard enveloppe tout à coup la fontaine merveilleuse, et sous ce brouillard on entend retentir le tonnerre. Tous les bergers et tous les druides du Forez, accourus au

  1. Astrée, tome Ier, p. 153.