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à l’épouser malgré la différence de leurs conditions, s’enflamme pour lui d’une passion qu’elle cherche en vain à lui faire partager. Céladon, plus épris que jamais de la cruelle Astrée, repousse poliment, mais inflexiblement, les avances de la princesse. Cependant celle-ci s’obstine à le retenir prisonnier, et il aurait de la peine à lui échapper, si une des dames d’honneur de Galathée, la nymphe Léonide, également touchée de la beauté de Céladon et mue par un sentiment de jalousie, ne l’aidait à fuir, déguisé en nymphe, avec le concours de son oncle, le grand druide Adamas, qui veut empêcher la princesse Galathée de se Compromettre par une mésalliance.

L’intervention de ce vieux druide nous oblige de prévenir immédiatement le lecteur que la scène du roman se passe au Ve siècle de notre ère, et qu’il a plu à d’Urfé de prolonger jusqu’à cette époque le gouvernement des druides, afin de pouvoir peindre simultanément la Gaule druidique, la Gaule romaine et l’invasion des Barbares, sans s’interdire d’ajouter encore à ce mélange quelques tableaux chevaleresques empruntés à la vie du moyen âge. Nous reviendrons sur cette partie historique du roman : il faut d’abord achever l’analyse du principal épisode d’amour.

Échappé du palais de Galathée, Céladon, qui considère la stricte obéissance comme le premier devoir d’un amant, et qui a reçu d’Astrée l’ordre formel de ne plus se présenter devant elle sans son commandement, prend le parti de se réfugier dans une caverne. Il y vit de racines et d’eau claire, uniquement occupé à se lamenter sur sa destinée et à saisir quelques rares occasions d’entrevoir de loin sa bien-aimée sans être vu d’elle. Vainement le sage Adamas, qui s’intéresse à sa douleur, lui affirme qu’Astrée, qui le croit mort, le regrette et l’aime de tout son cœur, vainement il l’engage à se présenter devant elle.


« Il n’y a point de doute, lui dit assez judicieusement ce sage druide, que si vous pouvez demeurer reclus et sans la voir, c’est faute de courage et d’amour… — Ah ! d’amour, non, répondit incontinent le berger, mais bien, je l’avouerai, de courage, qui en cette occasion me fait défaut autant que j’ai trop d’abondance d’amour. — Je croirai, répondit Adamas, que vous n’aimez point Astrée, si, sachant qu’elle vous aime et la pouvant voir, vous vous tenez éloigné de sa présence. — Amour, dit le berger, me défend de lui désobéir. Et puisqu’elle m’a commandé de ne me faire point voir à elle, appelez-vous défaut d’amour si j’observe son commandement ? — Quand elle vous l’a commandé, ajouta le druide, elle vous haïssait ; mais à cette heure elle vous aime et vous pleure, non pas absent, mais comme mort. — Comment que ce soit, répondit Céladon, elle nie l’a commandé, et comment que ce soit, je lui veux obéir[1]. »

  1. Astrée, tome II, p. 686, 687.