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et galantes, que l’on fait souvent dériver de d’Urfé, lui est antérieur ; mais ce qui est certain, c’est que l’Astrée n’a pas peu contribué à le répandre et à le prolonger. « Pendant quarante ans, dit Segrais, on a tiré presque tous les sujets de pièces de théâtre de l’Astrée, et les poètes se contentaient ordinairement de mettre en vers ce que M. d’Urfé y a fait dire en prose à ses personnages. Ces pièces-là s’appelaient des pastorales, auxquelles les comédies succédèrent. J’ai connu une dame qui ne pouvait s’empêcher d’appeler les comédies des pastorales longtemps après qu’à n’en était plus question[1]. »

Quand la pastorale eut disparu en tant que comédie, elle se maintint à l’Opéra. La Fontaine écrivait encore en 1691 son opéra de l’Astrée, tiré du roman de d’Urfé ; en dehors du théâtre, cette bergerie factice resta le thème favori de tous les poètes ou prosateurs bucoliques. Fontenelle est un disciple de d’Urfé ; ses poésies pastorales débutent par un éloge pompeux de l’Astrée, et quoique, dans son Discours sur l’églogue, il se flatte d’avoir créé des bergers qui diffèrent à la fois de ceux de Théocrite, qu’il trouve trop grossiers, et de ceux de d’Urfé, qu’il juge un peu trop raffinés, il est facile de reconnaître que son genre est au moins aussi éloigné du naturel que le genre de l’Astrée, s’il ne l’est plus, car, sans parler du vif sentiment des beautés de la nature qui distingue d’Urfé de Fontenelle, ce n’est pas l’auteur de l’Astrée qui aurait émis cette sentence du poète bel esprit : « Le naïf n’est qu’une nuance du bas. » D’Urfé se trompe sur la véritable naïveté, il ne la voit point là où elle est, et il la cherche là où elle n’est point ; mais il ne la dédaigne pas. Il y a même un passage de l’Astrée où l’auteur, après avoir introduit un chevalier et une grande dame qui prennent l’habit de berger, exprime cette pensée : qu’ils voudront bien « plier leur esprit aux douces naïvetés des pasteurs et à leurs innocens exercices[2]. » Il est vrai que ces exercices sont rarement naïfs, puisque ce sont presque toujours des controverses de métaphysique sentimentale ou des jeux d’esprit ; mais ils ont au moins l’intention de l’être, tandis que les bergers de Fontenelle ont un parti pris contre tout ce qui, de près ou de loin, pourrait rappeler leur condition. La peinture de la vie pastorale, suivant Fontenelle, n’a qu’un but : c’est « d’exprimer l’idée d’une vie tranquille, occupée seulement par l’amour. » D’Urfé dit quelque chose d’analogue, lorsque, dans la préface du premier volume de son roman, il fait répondre par la bergère Astrée à ceux qui lui reprocheraient de ne parler point le langage des

  1. Segraisiana, p. 144 et 145.
  2. ) Astrée, t. III, p. 851.