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— Parbleu ! j’ai vu à Stockholm dernièrement celui de Christian Waldo.

— Vous l’avez vu… en dehors ?

— Seulement ; mais je me doute bien de l’intérieur, quoique celui-ci m’ait paru assez compliqué.

— C’est un théâtre à deux operanti, soit quatre mains, c’est-à-dire quatre personnages en scène, ce qui permet un assez nombreux personnel de burattini.

— Qu’est-ce que cela, burattini ?

— C’est la marionnette classique, primitive, et c’est la meilleure. Ce n’est pas le fantoccio de toutes pièces qui, pendu au plafond par des ficelles, marche sans raser la terre ou en faisant un bruit ridicule et invraisemblable. Ce mode plus savant et plus complet de la marionnette articulée arrive, avec de grands perfectionnemens de mécanique, à simuler des gestes assez vrais et des poses assez gracieuses : nul doute que l’on ne puisse en venir, au moyen d’autres perfectionnemens, à imiter complètement la nature ; mais en creusant la question je me suis demandé où serait le but, et quel avantage l’art pourrait retirer d’un théâtre d’automates. Plus on les fera grands et semblables à des hommes, plus le spectacle de ces acteurs postiches sera une chose triste et même effrayante. N’est-ce pas votre avis ?

— Certainement ; mais voilà une digression qui m’intéresse moins que la suite de votre histoire.

— Pardon, pardon, monsieur Goefle, cette digression m’est nécessaire. Je touche à une phase assez bizarre de mon existence, et il faut que je vous démontre la supériorité du burattino sur l’automate. Le burattino, cette représentation élémentaire de l’artiste comique, n’est, je tiens à vous le prouver, ni une machine, ni une marotte, ni une poupée : c’est un être.

— Ah ! oui-dà ! un être ? dit M. Goefle en regardant avec étonnement son interlocuteur et en se demandant s’il n’était pas sujet à quelques accès de folie.

— Oui, un être ! je le maintiens, reprit Cristiano avec feu ; c’est d’autant plus un être que son corps n’existe pas. Le burattino n’a ni ressorts, ni ficelles, ni poulies : c’est une tête, rien de plus ; une tête expressive, intelligente, dans laquelle… tenez ! — Ici Cristiano s’en alla sous l’escalier et ouvrit une caisse d’où il tira une petite figure de bois garnie de chiffons, qu’il jeta par terre, releva, fit sauter en l’air et rattrapa dans sa main.

— Tenez, tenez, reprit-il, vous voyez cela ? Une guenille, un copeau qui vous semble à peine équarri ? Mais voyez ma main s’introduire dans ce petit sac de peau, voyez mon index s’enfoncer dans la