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retourner en France. Nous étions dans un de ces mois de paradis que les Espagnols appellent ; des mois d’enfer et dans cette saison tout le monde quitte Madrid ; mais comme tout le monde le quitte en même temps, les moyens de locomotion deviennent très difficiles. Vous pouvez vous présenter le 1er juin par exemple au courrier de Bayonne ; on vous promettra une place pour le 15 juillet. En ces cas-là, il n’y a de ressource que dans l’arbitraire : : si on est bien en cour, on se fait donner « administrativement » une place déjà prise, ce qui doit être extrêmement agréable pour l’autre voyageur. Je repris donc le chemin de fer ; mais au lieu d’aller directement à Alicante, et de là à Marseille, j’allai faire une visite à la ville de Valence.

Valence est reliée au chemin de Madrid à Alicante par un embranchement qui vient aboutir à Almansa. Ce chemin n’est pas encore achevé ; il n’est ouvert que de Valence à Xativa, et de là à Almansa le service se fait par des diligences en trois heures. J’étais séduit par le désir de voir Valence, séduit aussi par une magnifique affiche qui annonçait le trajet de Madrid à Marseille par cette voie, et donnait la liste de trente-huit bateaux à vapeur faisant ce service, à peu près ce que devait avoir l’invincible armada pour conquérir l’Angleterre. L’annonce assurait que sur ces trente-huit bateaux il en partait de Valence au moins un ou deux chaque jour pour Barcelone ou pour Marseille, et que le voyageur n’avait pas à s’inquiéter du jour de rembarquement.

Nous voilà donc en route, et nous goûtons un peu de la diligence, dont nous avions perdu l’habitude. Du reste, ces douze ou quatorze mules que l’on attelle aux voitures vont assez vite, à la condition qu’elles soient encouragées sans repos et sans relâche du geste et de la voix. La langue que les conducteurs parlent à leurs bêtes est un idiome tout particulier ; il y en a un qui mène les mules, il y en a un second qui court à côté pendant tout le relai, et qui rappelle ce dont étaient capables les fameux fantassins espagnols ; enfin il y a un garçon de douze à quatorze ans qui est à cheval sur la première mule, et qui y reste pendant des journées entières jusqu’à ce qu’il en meure. Tout cet attirail finit pourtant par arriver. À Xativa, on prend le chemin de fer, et on entre dans la huerta de Valence.

Le mot de huerta veut dire en réalité jardin potager, et cette partie du royaume est effectivement un admirable jardin de fruits et de légumes, dont la culture est restée telle que les Arabes l’avaient fondée. Quels admirables cultivateurs étaient ces Maures ! Ce système d’irrigation, qui donne encore au jardin de Valence une fécondité fabuleuse, ce sont eux qui l’ont établi il y a des siècles ; ils ont laissé partout leur empreinte et leur souvenir sur cette terre, jusque dans les noms des villages ; les stations que traverse le chemin