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Je voudrais bien ne point paraître faire une légèreté en rapprochant les églises et les théâtres ; mais dans tous les pays du monde c’est là qu’on trouve le plus de matière à observation.

Comme en Italie, la plupart des églises en Espagne n’ont ni bancs ni chaises ; c’est tout au plus si quelques-unes ont au milieu de la nef une natte en paille. On y rencontre çà et là quelques petits paillassons ronds sur lesquels les femmes se mettent à genoux ; encore est-ce une exception, et presque toutes se jettent pêle-mêle sur les dalles. Ne croyez pas qu’elles s’y prennent comme des petites maîtresses, du bout des doigts, du bout des pieds, du bout des lèvres ; elles se jettent franchement, chrétiennement, sur leurs deux genoux, n’importe où. La première prière faite, elles s’asseyent sur leurs talons, ou tout à fait par terre, les jambes repliées de côté. De même qu’il n’y a que les Espagnoles pour savoir tenir l’éventail, il n’y a qu’elles aussi pour savoir se laisser tomber à genoux ou s’accroupir avec grâce, avec mollesse et sans effort. Vous entendez le bruissement, vous sentez le frôlement de la robe de soie, vous voyez, à l’éclair de deux étoiles noires, passer un nuage de volans et de dentelles, puis le tout se répand sur le sol comme de l’onde, et s’arrondit avec des mouvemens de couleuvre ; les robes blanches ont l’air de descendre silencieusement comme de grands flocons de neige. Ou bien vous entrez dans une église d’où le jour est soigneusement exclu ; le passage du soleil à l’obscurité vous aveugle un moment, vous trouvez sous vos pieds un amas de mousseline ou de crêpe de Chine, et vous finissez par distinguer deux yeux qui brillent, deux lèvres qui remuent, la main gauche égrenant le chapelet ou le rosaire, la main droite agitant l’éventail, sans repos, sans trêve. Jamais l’éventail ne s’arrête ; même à la messe, même pendant l’élévation, quand tous les genoux sont à terre et tous les fronts inclinés, on entend l’incessant petit bruit de crécelle de l’éventail qui s’ouvre et se ferme.

Bien plus encore au théâtre : c’est là qu’on voit les filles de l’Ibérie dans tout leur éclat, et elles y font une véritable guirlande. Il n’y a pas de peuple plus amoureux du spectacle que les Espagnols ; ils en font une consommation effrénée. Madrid, qui n’a pas trois cent mille âmes de population, a je ne sais combien de théâtres, et on les voit toujours remplis. Les salles sont spacieuses, élégantes et comfortables ; on a de la place dans les stalles, et les loges sont de petits salons où l’on fait toutes ses visites. On fume souvent dans les couloirs, et quand on ouvre les portes des loges, il y entre des bouffées de tabac ; je suis malheureusement obligé de dire qu’il y entre aussi d’autres émanations moins supportables. Comme le public ne se renouvelle pas beaucoup, il faut bien renouveler le répertoire, de sorte que les acteurs n’ont généralement pas le temps d’apprendre