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« L’idée de me cacher me révolta. — Malheureux ! me dit le cardinal. Ne sais-tu pas que mon neveu est forcé à présent de te faire assassiner ? — Le mot forcé me parut plaisant. Je répondis au cardinal que je forcerais Marco à se battre avec moi. — Tu ne peux pas tuer mon neveu ! me dit-il en me frappant avec gaieté sur la tête. Quand même tu serais assez habile pour cela, tu ne voudrais pas payer de la sorte l’amitié paternelle que je t’ai montrée ? — Cette réflexion me ferma la bouche. Je rentrai chez moi et fis mes préparatifs de départ. J’aurais dû y mettre plus de mystère, mais je répugnais à paraître me sauver en cachette. Tout à coup, comme je sortais de ma chambre pour chercher une petite caisse dans le vestibule de la maison que j’habitais seul, deux bandits tombent sur moi, et se mettent en devoir de me garrotter. En me débattant, je les entraîne au bas de l’escalier ; mais, comme j’allais leur échapper, la porte se ferme brusquement, et j’entends sous le vestibule intérieur une voix aigre qui s’écrie : — Courage, liez-le ! Je veux qu’il périsse là, sous le bâton ! — C’était la voix de Marco Melfi.

« L’indignation me donna en ce moment des forces surhumaines. Je luttai si énergiquement contre mes deux bandits, que je les mis hors de combat en peu d’instans. Alors, sans me soucier d’eux, je m’élançai vers Marco, qui, voyant échouer son entreprise, voulait se retirer. Je le collai contre la porte et lui arrachai l’épée qu’il voulait tirer pour se défendre. — Misérable ! lui dis-je, je ne veux pas t’assassiner ; mais tu te battras avec moi, et tout de suite ! — Marco était faible et chétif. Je le forçai de remonter devant moi l’escalier, je le poussai dans ma chambre, dont je fermai la porte à double tour ; je pris mon épée, et, lui rendant la sienne : — À présent, lui dis-je, défends-toi ; tu vois bien qu’il faut quelquefois se battre avec un homme de rien ! — Goffredi, me répondit-il en baissant la pointe de son épée, je ne veux pas me battre, et je ne me battrai pas. Je suis trop sûr de te tuer, et vraiment ce serait dommage, car tu es un brave garçon. Tu pouvais m’assassiner, et tu ne l’as pas fait. Soyons amis !…

« Confiant et sans rancune, j’allais prendre la main qu’il me tendait, lorsqu’il me porta vivement et adroitement de la main gauche un coup de stylet à la gorge. J’esquivai l’arme, qui glissa et me blessa à l’épaule. Alors je ne connus plus de frein : j’attaquai ce fourbe avec fureur et le forçai de se défendre. Nos armes étaient égales, et il avait sur moi l’avantage d’une adresse et d’une pratique dont je n’approchais certainement pas. Quoi qu’il en soit, je l’étendis mort à mes pieds. Il tomba l’épée à la main, sans dire une parole, mais avec un sourire infernal sur les lèvres. On frappait violemment à la porte, on la poussait pour l’enfoncer. Il se crut peut-être au moment d’être vengé. Moi, épuisé de lassitude et d’émotion, je sen-