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et nous n’avons pas de repos que nous n’ayons transformé la rude chrysalide en un frêle et gracieux papillon. Nous voulons l’enfant civilisé de bonne heure, et nous lui enseignons toutes les vertus de convention, toutes les manières artificielles de la société. Tout autre, comme nous l’avons vu, est la méthode anglaise : l’enfant n’est pas élevé pour le plaisir des parens, mais pour lui-même et pour la société dont il fera partie. Livré à lui-même, obligé de chercher en lui-même ses moyens de défense et de protection, il apprend de bonne heure cette grande leçon, que la vie est une série d’obstacles qu’il faut savoir surmonter. Le collège anglais étant une société en miniature, où les caractères les plus divers se développent librement, l’enfant fait en abrégé l’expérience de la vie, et acquiert de bonne heure le sentiment de la réalité. Il n’aura point besoin de faire plus tard un cours de philosophie morale pour savoir quelle est la nature de l’homme, et il rira de bon cœur des théoriciens et des rêveurs qui lui proposeront les doctrines d’Hobbes et les sophismes de Rousseau. Il saura que la nature humaine est un mélange, et que ce mélange varie à l’infini avec les individus. Il ne lui prendra pas dans la vie des fantaisies de révolte ou de tyrannie, car il aura épuisé au collège toutes ces passions puériles, et il aura acquis par expérience la conviction que les révoltés sont moins dangereux qu’ils ne le paraissent, et que les tyrans ne sont pas aussi invincibles qu’ils en ont l’air. Il aura reconnu les limites naturelles des choses, car il aura souvent oublié où s’arrêtaient ses droits, et chaque fois il en aura été puni. Il aura plus d’une fois aussi, dans ses heures d’enthousiasme, accompli des sacrifices dont il n’aura pas été récompensé. Le jeune Anglais, au sortir du collège, a donc reçu non-seulement une éducation intellectuelle, mais une éducation pratique ; il est capable d’être un citoyen en même temps que d’être un scholar. Et pour tout résumer d’un seul mot, si l’on demandait pourquoi, étant donné le mouvement toujours ascendant de la démocratie, les classes supérieures de l’Angleterre conservent encore le gouvernement de la société, je répondrais qu’elles doivent avant tout ce privilège à leur éducation, qui, en bannissant de leur esprit la timidité, l’irrésolution, les rêveries chimériques, leur a enseigné à ne s’étonner de rien, à ne rien craindre, à ne rien dédaigner et à tout ménager.


EMILE MONTEGUT.