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moins le pouvoir. Guidés par le brutal Flashman, les élèves de la cinquième division réduisirent donc en servitude leurs jeunes camarades. Tom, qui n’était rien moins que patient, supportait cet esclavage en grinçant des dents et en méditant des projets de révolte. La dénonciation n’étant pas admise, il n’y avait en effet d’autre moyen d’en finir que la révolte. Tom fit part de ses projets à son camarade Harry East, enfant résolu, indiscipliné et rusé. East essaya de l’en détourner, en lui montrant tous les dangers de l’entreprise. Il faudrait former une ligue générale ; y réussirait-il ? Peut-être n’y avait-il qu’un moyen de se débarrasser de cette tyrannie illégale : c’était l’expédient que lui, East, avait adopté. Il faisait son service de manière à dégoûter son tyran. Il oubliait de nettoyer les chandeliers, il laissait sur le parquet les débris du suif, il ne secouait pas les tapis, balayait l’étude à demi ; mais, comme le service était fait en apparence, son tyran ne savait jamais au juste s’il avait ou non rempli ses devoirs d’esclave. Plusieurs fois ce dernier lui avait tendu des pièges ; mais East, rusé comme Ulysse, les avait toujours découverts. Une fois entre autres il avait caché de petits bouts de papier sous le tapis qui recouvrait son pupitre ; si les bouts de papier se retrouvaient le lendemain sous le tapis, East serait pris en flagrant délit de négligence et d’insubordination, et il pourrait alors le châtier tout à son aise. « Le lendemain matin, racontait le tyran, après déjeuner, je monte, j’enlève le tapis, et pst, voilà tous les petits bouts de papier qui volent dans l’étude. J’étais furieux. Ah ! je te tiens à la fin, pensais-je ; je l’envoyai chercher, et je préparai ma canne. Le voilà qui arrive, les mains dans ses poches, et comme s’il ne s’était rien passé. — Est-ce que je ne vous avais pas dit de secouer mon tapis tous les matins ? — Oui. — Et vous l’avez fait-ce matin ? — Oui. — Oh ! petit menteur. J’ai mis ces bouts de papier sur la table hier au soir ; si vous aviez levé le tapis, vous les auriez vus ; aussi vous allez recevoir une solide volée. — Alors le gamin maudit tire une main de sa poche, se baisse, ramasse deux des morceaux de papier, et me les présente. Il y avait écrit dessus en grosses lettres : Harry East. Le petit drôle avait découvert le piège, enlevé mes bouts de papier, et en avait substitué d’autres, marqués de son nom. J’eus grande envie de lui administrer une volée pour châtier son impudence ; mais je m’abstins, car après tout on n’a pas le droit de tendre des pièges, et j’étais dans mon tort. »

Toutefois les résolutions violentes allaient mieux au tempérament de Tom que la ruse patiente. « Je ne souffrirai pas plus longtemps cette tyrannie ! » s’écrie-t-il, et il se met à l’œuvre immédiatement. On entend la voix du brutal Flashman qui retentit dans le corridor. Les deux enfans se barricadent dans leur étude et résistent à un