Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucune résistance. La bataille durait environ depuis une demi-heure lorsqu’arriva le prœpostor. Quoique les combats soient défendus et qu’il soit du devoir du prœpostor de les empêcher, celui-ci cependant, une fois informé des causes de la querelle, laissa les choses suivre leur cours. Au moment où tout était terminé, le directeur apparut subitement. Au lieu de faire appeler les deux héros pour les réprimander et les punir, il s’adressa directement au prœpostor. « Ah ! Brooke, je suis surpris de vous voir ici. Ne savez-vous pas que je compte sur les élèves de la sixième division pour empêcher les batailles ? — Oui, monsieur, en règle générale ; mais quoique vous nous ayez donné une autorité pour intervenir dans cette matière, nous ne devons cependant exercer cette autorité qu’avec discrétion. — Mais ils se sont battus plus d’une demi-heure ! — Oui, monsieur, mais aucun n’était blessé. Ils sont d’ailleurs d’un caractère à être maintenant bons amis pour tout le temps de leur séjour ici ; ce qui ne serait pas arrivé si le combat avait été brusquement interrompu, et puis il y avait une telle égalité entre les adversaires ! » Le jeune Brooke avait raison. Si le combat eût été interrompu, les deux adversaires auraient gardé leurs rancunes ; la brutalité non punie serait devenue plus insolente ; le prestige du tyran n’ayant pas été détruit, il aurait continué à s’arroger une supériorité agressive et malfaisante. Interprétés trop strictement, les lois et règlemens de l’école, qui défendent les combats, auraient donc protégé le coupable et mis l’innocent à sa merci. Tous ces détails, toutes ces nuances morales, que Brooke apercevait si bien, une personne d’un âge mûr ne pourrait les apercevoir.

Prenons encore un exemple. Si toutes les fautes et infractions à la discipline sont soumises au jugement du maître, il arrivera très souvent que les élèves seront punis lorsqu’ils ne sont coupables qu’en apparence, ou bien encore qu’ils paieront pour toutes les fautes qui ne sont pas les leurs. Tom Brown et quelques-uns de ses camarades faillirent faire cette dure expérience. Revenant un jour d’une excursion de naturalistes dans la campagne, ils rencontrèrent sur leur chemin une vieille pintade qu’ils s’amusèrent à poursuivre. La pintade, qui appartenait à une ferme du voisinage, les entraîna malicieusement sur ses pas, donnant l’alarme par ses cris. Le fermier et ses valets arrivèrent et se saisirent des étourdis. On lui avait dévasté sa basse-cour et son jardin plus d’une fois ; à coup sûr ils étaient les coupables. Justice allait être faite enfin, il allait les amener devant le docteur. Les enfans tremblaient ; évidemment ils seraient fouettés, et cependant ils n’étaient coupables de rien que d’avoir donné la chasse à une vieille pintade. À ce moment, deux élèves de la sixième division arrivèrent fort heureusement sur