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de l’école, envahit leur dortoir. East et Tom se laissèrent berner sans regimber ni pousser un cri, de manière à éviter les dangers de cet amusement périlleux, au grand mécontentement du matamore Flashman, qui préférait de beaucoup les victimes qui résistaient, criaient et se laissaient choir sur le plancher par absence de sang-froid. Il avait perdu ses peines, et essaya de se dédommager. « Faisons-en sauter deux à la fois ! dit-il. — Fi ! Flashman, que vous êtes méchant ! répondit un de ses collègues. N’avez-vous pas entendu ce que pater Brooke a dit ce soir ? » Le despote fut obligé de s’arrêter devant l’opinion publique, et dut se contenter d’une fête très ordinaire, sans gémissemens, sans convulsions, sans membres fracturés. C’est ce qui arrive aux despotes dans tous les états très civilisés.

Mais, diront quelques personnes timorées, ce système d’absolue liberté ne peut-il pas être contraire à la moralité des enfans ? Des enfans non surveillés, livrés à eux-mêmes, maîtres de leurs actions, se corrompront mutuellement. Vieille erreur, qui repose sur une fausse donnée sociale, laquelle consiste à considérer les enfans comme des hommes faits, qui vivent déjà de la vie de la société ! Les hommes qui traînent après eux tout le bagage des conventions, des préjugés, des iniquités sociales, se corrompent mutuellement : il n’en est pas ainsi des enfans, qui sont beaucoup plus près de l’instinct, et qui se gouvernent beaucoup mieux que nous par les affinités naturelles et les lois naïves de la sympathie et de l’antipathie. Quiconque a bien observé les mœurs de nos collèges français, où les enfans sont astreints cependant à une existence commune, auront pu remarquer ce fait. Le meilleur moyen pour les enfans d’échapper à la corruption, c’est la liberté. Deux enfans d’une âme noble et délicate, à quelque condition qu’ils appartiennent, se reconnaissent immédiatement et marchent droit l’un vers l’autre. Deux enfans d’instincts pervers se devinent, deviennent immédiatement compagnons de vices, et marchent ensemble au mal et à la damnation. Même dans notre système de compression tyrannique et de surveillance inutile, le danger n’existe réellement que pour les enfans un peu faibles, qui ont des instincts mêlés, hésitans : par nature, ils inclineraient peut-être au bien ; grâce aux circonstances qui leur sont faites, ils inclinent au mal. Laissez-leur la liberté, et ils auront vingt chances contre une d’échapper au danger : le choix de leurs compagnons, leur assistance, l’opinion publique, à laquelle ils pourront faire appel, et qui chez les enfans est plus sincère que chez les hommes. Une surveillance trop despotique, en détruisant ces coalitions et associations naturelles, livre les enfans précisément aux périls qu’elle voulait éviter.