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de marchands actifs et de fermiers robustes. Il n’y a rien dans cette éducation qui trahisse une influence féminine, mystique ou contemplative. Comparez maintenant le collège français à l’école publique anglaise, et vous serez frappé de la différence tranchée qui sépare les deux systèmes d’éducation. C’est en vain qu’on a essayé de donner à notre système moderne d’éducation un esprit laïque : jusque dans ses moindres détails, ce système porte l’empreinte de l’influence ecclésiastique. Il est bien l’image de cette société qui a pu s’émanciper du joug de ses prêtres, mais qui, ayant été créée, formée par le clergé, n’a jamais pu oublier ses leçons, même alors qu’elle les maudissait. Une règle quasi monastique pèse sur les élèves, enfans dont les plus âgés ne dépassent pas dix-huit ans. L’immobilité et les habitudes sédentaires sont imposées à l’âge turbulent par excellence et avide de mouvement. Les exigences impérieuses de la nature, qui ordonne, au nom de la santé morale et physique et du bonheur futur, les exercices violens, les salutaires fatigues du corps, sont méprisées et traitées de dissipation et de brutalité. À voir ces légions d’enfans enfermés entre les quatre murs d’un édifice dont la vue seule inspire l’ennui, et qui tient à la fois du couvent, de la caserne et de la prison, on pourrait croire que l’intention des maîtres est de former des générations de contemplateurs oisifs et de moines mystiques. Eh bien ! pas du tout, l’intention des maîtres qui dirigent ces casernes ou ces couvens, où le corps se flétrit en même temps que l’âme s’étiole, est de former des hommes et des citoyens ! Ceux qu’on a cru déposséder doivent en vérité rire de bon cœur en voyant qu’on leur a opposé, sous un nom nouveau, leur vieux système d’éducation. Dans ce système en effet, quoiqu’il se prétende laïque et qu’il invoque le patronage de l’état, domine toujours, comme aurait dit Voltaire, le vieil esprit des bonzes. Le principe secret de ce système, c’est qu’on doit accorder le moins possible aux exigences du corps si l’on veut développer l’esprit, et que l’esprit profite de tout ce que perd la matière. À ce principe singulier, qui a son origine lointaine dans la doctrine mystique de la délivrance de l’âme par l’émaciation du corps, en est accolé un second, qui est absolument contraire à la formation du caractère. Ce principe, c’est que le premier devoir de l’enfant est d’être soumis, et que sa première vertu est l’obéissance. En conséquence on fait peser sur sa volonté une contrainte morale de tous les instans. Une sollicitude insupportable, et qui ressemble à un tendre espionnage, accompagne tous ses actes, observe tous ses gestes, écoute toutes ses paroles. L’objet de cette sollicitude trop maternelle devient promptement soumis, car il faut échapper aux dangers d’une surveillance assidue. Grâce à ce système, on obtient donc des enfans dociles, obéissans