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le plus énergique instrument du progrès en mettant obstacle à l’élévation morale. L’homme grandit par le sacrifice, lorsque la vie de famille lui donne déjà sur cette terre un but éternel en dehors de lui-même ; c’est la permanence de la possession, c’est l’assurance de faire passer à ceux qu’on aime les fruits de son travail qui épurent les jouissances, balancent les inspirations de l’égoïsme, et relient, par le merveilleux agencement de la liberté, l’intérêt individuel à l’intérêt général.

C’est un grand avantage que de n’avoir rien fait, a dit Rivarol, mais il ne faudrait pas en abuser. Cet avantage, les doctrines communistes en ont profité tant que l’histoire, mieux étudiée, n’a point montré leur action dans le passé, tant que la Russie, mieux connue et mieux comprise, n’a pas permis de toucher en quelque sorte du doigt les fruits de ce triste régime. Le communisme russe conserve dans sa forme primitive un état de choses dont l’Europe occidentale s’est successivement dégagée : loin de porter les signes de la virilité, il laisse voir les lisières de l’enfance. Ce qu’on était disposé à prendre pour du nouveau n’est qu’une vieillerie oubliée depuis longtemps parmi les nations civilisées. La Russie fournit donc sous ce rapport un curieux sujet d’investigation ; à défaut de solutions pour l’avenir, elle peut donner le mot de certaines énigmes du passé. On y rencontre, ainsi qu’en un autre Herculanum, des traces vivantes d’une société éteinte pour nous, et qui si est fidèlement conservée sous l’étreinte du despotisme, comme les vestiges matériels de l’existence romaine sont parvenus jusqu’à nous sous la cendre refroidie du volcan. Il y a là un enseignement vivant bien propre à détourner le monde moderne des voies chimériques où l’utopie prétendait l’engager. Le communisme, ce rêve impuissant d’esprits attardés qui prennent les lueurs vacillantes du passé pour la colonne lumineuse de l’avenir, donne en Russie la main au pouvoir absolu pour étouffer ce qui développe l’énergie individuelle, ce qui élève l’esprit en fortifiant l’âme. Nous comptons le montrer à l’œuvre et constater les résultats qu’engendre la négation de la propriété permanente du sol, ce principe vital des sociétés modernes ; mais avant tout il faut dire quelle organisation a reçue le servage russe, et quelles formes variées il a revêtues.


II. — NOTICES HISTORIQUES SUR LE SERVAGE RUSSE. — L’EMANCIPATION NECESSITEE PAR LE DEVELOPPEMENT DE LA CULTURE.

L’esclavage remonte en Russie à une haute antiquité : il paraît difficile de soutenir, en présence du texte des lois de Jaroslav, la thèse moderne, qui s’efforce de fixer au XVIe siècle la date d’une usurpation commise dans ce pays par l’homme sur ce qu’il y a de