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Pourtant notre aventurier parvint à retrouver la trace de ses propres pas de la veille, lorsqu’il avait cru marcher sur des débris de briques et de tuiles, et bientôt il retrouva aussi la porte mystérieuse par laquelle il était sorti du donjon ; mais cette fois elle était fermée. Christian remarqua deux forts pitons de fer et un cadenas dont on avait emporté la clé. Le fait était récent. La chanteuse devait être une personne attachée, comme Stenson et Ulphilas, à la garde du vieux manoir. Elle ne pouvait pas être bien loin, puisqu’elle chantait encore cinq minutes auparavant, et elle ne pouvait pas être ailleurs que dans les galets, puisque, sur le lac et sur les talus du donjon, aussi loin et aussi haut que sa vue pouvait s’étendre, Christian n’avait vu personne. Il revint sur ses pas pour sortir de la grotte, qui était assez sombre, et qui ne s’éclairait, vers le milieu de son parcours, que par une ouverture naturelle, sous laquelle il s’arrêta un instant pour regarder le ciel ; mais avec le ciel il vit un objet qui surplombait le rocher et qui faisait saillie sur le flanc lisse et nu du donjon. Il reconnut bientôt que c’était le dessous du balcon de pierre qui portait le double châssis vitré de la chambre de l’ourse, de telle sorte que de ce balcon on eût pu, à travers l’entassement des blocs, descendre sur les galets avec une échelle ou avec une corde, et se trouver à couvert aussitôt sous la voûte qu’ils formaient en cet endroit.

Christian, qui était romanesque, bâtit aussitôt la possibilité d’un système d’évasion en cas de guerre ou de captivité dans le donjon du Stollborg. Il gravit les galets qui formaient les irrégulières parois de la grotte, et parvint, non sans peine, à en sortir par cette ouverture, qu’il se convainquit n’avoir pas été faite de main d’homme. Cet examen l’amena à une réflexion que chacun de nous a eu, ne fût-ce qu’une fois en sa vie, l’occasion de faire : c’est que, dans les situations désespérées, il se présente par moment des chances tellement invraisemblables, qu’elles semblent sortir du domaine de la réalité, et empiéter sur celui du roman fait à plaisir. Néanmoins, songeant toujours à trouver la chanteuse, il poursuivit son exploration dans les galets, dont les intervalles irréguliers étaient presque tous plus ou moins praticables ; il n’y vit personne, et il allait renoncer à sa recherche, lorsque la voix se fit encore entendre, partant cette fois de plus bas qu’il n’avait semblé à Christian devoir le présumer lorsqu’il l’avait entendue en premier lieu. Il se dirigea de ce côté ; mais lorsqu’il eut atteint l’endroit où il pensait trouver cette mystérieuse rapsode, son chant, qui s’était brusquement interrompu comme celui de la cigale à l’approche de l’homme, résonna d’un autre côté et de beaucoup plus haut, comme s’il planait dans l’espace. Christian leva la tête, et remarqua, sur le flanc du donjon, une longue fissure à demi perdue sous le lierre, qui s’étendait presque