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térieux, il avait essayé de passer outre ; mais un coup de vent avait éteint sa bougie, et il s’était trouvé dans les ténèbres. Il avait fait ainsi quelques pas avec précaution ; enfin, la lune se dégageant des nuages, il s’était vu dans une sorte de grotte, ouverte de distance en distance sur le lac. Il avait suivi cette galerie, qui paraissait creusée par la nature, et où pénétrait l’eau du lac ; marchant ensuite sur la glace, il était arrivé devant une petite porte à claire-voie, facile à escalader, au moyen de laquelle il avait pu pénétrer dans le verger, puis dans le gaard de M. Stenson.

C’est cette porte, flanquée de deux jeunes ifs taillés en pain de sucre, qui frappait maintenant Christian, et qui l’aidait à reconnaître les points principaux de son exploration nocturne. Bien qu’il n’espérât guère trouver Puffo de ce côté-là, Christian sortit du verger, et se mit à suivre sur le lac les talus extérieurs du manoir, dans la direction du donjon. Il était curieux de revoir au jour le trajet qu’il avait fait, moitié à tâtons, moitié à la clarté de la lune.

Il arriva ainsi à l’entrée de ce qui lui avait paru être une grotte. Ce n’était en réalité qu’un entassement d’énormes blocs de granit, de ceux qu’on appelle, je crois, erratiques, pour signifier qu’on les trouve isolés de leur roche primitive, dans des régions d’une nature différente, où ils n’ont pu se produire. On suppose qu’ils sont le résultat de quelque cataclysme primitif ou moderne, fureur des eaux ou travail des glaces, qui les aurait amenés de très loin dans les sites où on les rencontre. Ces blocs étaient arrondis en forme de galets, et une superposition capricieuse semblait attester que, poussés par des courans impétueux, ils s’étaient trouvés arrêtés par la masse micaschisteuse du Stollborg, à laquelle ils servaient désormais d’appui et de contre-fort. La marche n’était guère facile en cet endroit à cause de la neige tombée dans la soirée précédente, et que le vent avait balayée ou plutôt roulée en gros plis, comme un linceul, le long des galets.

Christian allait donc revenir sur ses pas, lorsqu’il fut frappé de la tournure pittoresque du donjon, vu ainsi d’en bas, et il s’en éloigna un peu pour en mieux saisir l’ensemble. Il chercha machinalement à se rendre compte de la situation de la salle de l’ourse, et en reconnut aisément l’unique croisée, à la hauteur d’environ cent pieds au-dessus du niveau du lac et cinquante au-dessus de la cime des galets. Il ne faisait pas très froid, et Christian, qui avait toujours un petit album dans sa poche, se mit à esquisser lestement le profil de la tour, avec son grand escarpement sur le roc et son chaos de gigantesques galets, dont l’entassement fortuit laissait, comme dans celui des grès de Fontainebleau, des galeries et des passages couverts d’un effet très bizarre.

Pendant qu’il étudiait ce site caractérisé, Christian entendit chan-