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Un vieillard grêle et pâle, d’une figure distinguée, vêtu de gris fort proprement, à l’ancienne mode, était debout au milieu de la chambre, une branche verte à la main. Christian ne l’avait pas entendu entrer, et cette figure, éclairée en profil par le soleil déjà très oblique, qui envoyait par l’unique et longue fenêtre un rayon rouge et poudreux dans la salle assombrie, avait l’apparence d’une vision fantastique. L’expression de cette figure n’était pas moins étrange que sa présence inattendue. Elle semblait indécise, étonnée elle-même de se voir là, et ses petits yeux vitreux contemplaient avec surprise les modifications apportées au morne arrangement de la salle par ses nouveaux occupans. Avec un peu de réflexion, Christian comprit que ce n’était point là un spectre, mais bien probablement le vieux Stenson, qui venait rendre ses devoirs à M. Goefle, et qui s’étonnait de ne pas le trouver. Mais que signifiait la branche verte, et pourquoi cet air craintif ou désappointé ?

C’était le vieux Stenson en effet, et comme il avait la vue aussi nette qu’il avait l’oreille embarrassée, le feu allumé, la table servie, la pendule en mouvement l’avaient frappé tout d’abord ; mais il n’avait pas les allures promptes, et Christian eut le temps de se reculer un peu derrière un pan de rideau frangé par la dent des souris avant que l’œil du vieillard eût fait l’inspection de cette fenêtre ouverte. Christian put donc l’observer avant d’être observé lui-même. Quant à Stenson, il pensa que son neveu, dont il n’ignorait pas l’ivrognerie, avait invité quelques amis à faire à son insu le réveillon de Noël dans cette chambre. À quel point il en fut indigné, c’est ce que lui seul eût pu nous dire. Son premier soin fut de faire disparaître ce scandaleux désordre. Il commença par écarter avec la pince de fer les charbons enflammés dans le poêle pour que le feu s’éteignît de lui-même ; puis, avant de se mettre en devoir d’emporter le service de table ou de le faire emporter par le délinquant, il arrêta le balancier de la pendule et replaça l’aiguille sur quatre heures, telle que Christian l’avait trouvée, lorsque, d’une main profane, il s’était permis de la faire marcher. M. Stenson se retourna ensuite comme pour compter les bougies du lustre ; mais, le soleil lui venant dans les yeux, il se dirigea vers la fenêtre pour la fermer préalablement.

En ce moment, Christian, qui allait être surpris, se montra. À son apparition nimbée par les rayons du couchant, Stenson, qui n’était peut-être pas le moins superstitieux de sa famille, recula jusqu’au-dessous du lustre, et une telle angoisse se peignit sur ses traits, que Christian, oubliant sa surdité, lui adressa la parole avec douceur et déférence pour le rassurer ; mais sa voix se perdit sans écho dans la salle ouverte et refroidie. Stenson ne vit que le mouvement de ses lèvres, sa belle figure et son air bienveillant. Il tomba sur ses genoux en lui tendant les bras comme pour l’implo-