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qui avaient été ses premiers protecteurs ? On expliquerait ainsi l’existence du tableau en Angleterre, où peut-être il aurait été transporté dès l’origine. On sait en effet, — et nous avons eu l’occasion de rappeler le fait ici même[1], — que le duc Guidobaldo Ier, pour remercier Henri VII, qui lui avait envoyé l’ordre de la Jarretière, fit hommage à ce prince d’un Saint George commandé tout exprès à Raphaël, avec injonction au peintre d’orner la jambe gauche du saint des insignes de l’ordre ; Il n’est pas impossible que le petit tableau offert à Henri VII ait été accompagné d’un autre, et ce qui permet d’attribuer cette origine à l’Apollon, c’est le caractère même du sujet et de l’ouvrage, caractère tout à fait conforme aux goûts archéologiques, au classicisme de Guidobaldo et des lettrés qui composaient sa cour. Dans ce cas, Raphaël aurait peint Apollon et Marsyas à l’âge de vingt-trois ans et dans l’année 1506.

Qu’importe au surplus cette question de date, puisque l’erreur ne saurait porter que sur une différence de quelques mois ? Le point essentiel à établir, c’est l’authenticité de l’œuvre, quels qu’en puissent être d’ailleurs l’origine et l’âge exact. Or le doute ne peut exister sur ce point. Le tableau d’Apollon el Marsyas est parfaitement authentique. Il l’est à nos yeux autant que pas un autre parmi les tableaux anonymes, autant que cette admirable Sainte Famille de Michel-Ange qui figurait récemment à l’exposition de Manchester, et que, soit dit en passant, M. Morris Moore a également signalée le premier, quoi qu’aient pu dire ensuite des ouvriers de la deuxième heure pour s’attribuer l’honneur de la découverte[2]. De plus, que l’on examine les tableaux de petite dimension peints par Raphaël à l’époque de sa première manière, on n’en trouvera aucun qui fasse pressentir aussi bien les chefs-d’œuvre qui vont suivre. Je me trompe, l’Apollon est mieux qu’une promesse. Il rend manifestes déjà les incomparables qualités du maître et cet instinct de la perfection en tout genre dont le ciel avait doué son harmonieux génie. L’harmonie, c’est là en effet le mérite par excellence de Raphaël. C’est cette aptitude à comprendre et à concilier toutes les conditions pittoresques, tous les élémens du vrai, toutes les formes du beau, qui donne à ses œuvres une valeur et une sérénité suprêmes. On sait la légende de ces deux peintres dont l’un se croyait sans rival parce qu’il avait pu tracer à main levée un cercle parfait dans sa circonférence ; l’autre survint qui, sans hésiter, planta un point précisément au milieu du cercle. Toute proportion gardée entre l’adresse et le génie, on peut rapprocher du dernier fait le rôle de Raphaël dans l’histoire de la peinture et le genre de progrès qu’il détermina.

  1. Livraison du 1er novembre 1851, dans une étude sur les ducs d’Urbin.
  2. Voyez à ce sujet le Morning Chronicle du 10 juin 1858.