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qui encadrent les deux scènes ? Au centre de la composition dessinée par exemple, un arbre se dresse sans profit pour l’aspect pittoresque et divise le fond en deux parties égales ; les montagnes qui s’élèvent à l’horizon viennent assez malencontreusement s’engager dans la tête de l’Apollon à la hauteur des yeux. Rien de pareil sur la toile, ou pour parler plus exactement, sur le panneau. L’arbre n’existe pas ; l’horizon s’abaisse au niveau de l’épaule, de manière à laisser la tête du dieu dominer en se détachant sur le ciel. Si le dessin, a précédé le tableau, quoi de plus aisément explicable que ces variantes dans la composition : elles deviennent des améliorations introduites par le pinceau à mesure qu’il entreprend de transcrire ou de réviser chacune des données primitives. Si, au contraire, le tableau est antérieur au dessin, si Raphaël n’a pris le crayon que pour faire œuvre de copiste, il faut reconnaître qu’il n’a pas eu l’intelligence du texte original, qu’il en a mal à propos dénaturé les termes, et qu’en plus d’un passage, sa traduction procède par des contre-sens. Il n’avait pas coutume pourtant de dégrader ainsi ses modèles, et ce n’est pas de la sorte qu’il traduisait le Pérugin peu auparavant. Non, le dessin et le tableau sont bien de la même main ; ils résultent l’un de l’autre, mais dans un sens opposé à celui qu’on a prétendu rétablir, et comme la fresque de l’École d’Athènes à Rome résulte du carton exposé aujourd’hui dans une salle de la bibliothèque ambroisienne, à Milan. De deux choses l’une : ou Raphaël est l’auteur du dessin et du tableau, puisque celui-ci est la conséquence et le complément de l’œuvre très légitimement attribuée à son crayon, ou bien il n’a fait ni l’un ni l’autre, et alors le moyen de trouver parmi, les artistes contemporains un maître dont le nom puisse, avec quelque apparence de justesse, être substitué au sien ?

Par le goût pittoresque et les caractères du style, l’Apollon appartient évidemment à l’école florentine et aux premières années du XVIe siècle. Quel serait, à cette époque et dans cette école, le talent dont la portée et les allures habituelles pourraient autoriser le soupçon ? Il faut d’abord mettre hors de cause Léonard, Michel-Ange, fra Bartolommeo et Andréa del Sarto. La manière propre à chacun de ces grands artistes est en opposition trop formelle avec celle-ci, pour que personne, même entre les moins clairvoyans, s’y méprenne. Tout d’ailleurs dans ce tableau révèle, nous l’avons dit, la jeunesse de l’imagination et de la main. Or, au moment où il a dû être peint, les maîtres que nous venons de nommer avaient, sauf Andréa del Sarto, dépassé depuis longtemps l’âge des débuts. Parmi les artistes moins éminens, ou moins avancés dans la vie, qui choisir ? Filippino Lippi, Raffaele del Garbo, Raffaellino da Colle ? Mais si charmantes