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supprimer un terme de comparaison aussi favorable à la cause de M. Moore que fâcheux pour la cause contraire était-elle étrangère au fait de cette disparition ? Peu importe, après tout. Le dessin a reparu ; il est inscrit dans le catalogue des objets d’art de l’académie de Venise sous le nom de Raphaël : oh peut donc aujourd’hui contrôler l’authenticité du tableau par l’étude d’un dessin déclaré authentique[1], et puiser d’abord dans ce rapprochement des élémens précieux de conviction.

La pièce que possède l’académie de Venise est, comme la plupart des dessins de Raphaël, à l’époque de sa première manière, exécutée à la pointe d’argent. Elle mesure quelques centimètres de moins que la composition peinte, mais cette différence n’existe que dans le champ de la scène, les dimensions des figures étant d’ailleurs exactement les mêmes. En outre l’exécution de ces figures est, dans le dessin, beaucoup plus avancée, beaucoup plus précise que l’exécution des objets environnans, comme il arrive d’ordinaire lorsqu’un peintre n’a voulu tracer qu’un carton, c’est-à-dire un modèle qu’il reportera ensuite sur la toile et dans lequel, les lignes accessoires une fois indiquées, il s’attache à l’étude de quelques formes principales, au modelé de certains morceaux essentiels. Nous insistons sur ces détails matériels, sur ces inégalités dans le travail du crayon, pour faire ressortir les vices d’une hypothèse qui tendrait à établir la priorité du tableau. On a prétendu en effet, — et nous avons vu récemment cette opinion reproduite dans un recueil qui s’adresse particulièrement aux artistes, — on a décidé, un peu trop de mémoire, que le dessin de Venise était une copie de la main de Raphaël, il est vrai, mais en définitive une copie d’après le tableau nouvellement découvert. Or par quel prodige Raphaël, en copiant celui-ci, aurait-il fait preuve d’aveuglement ou d’infidélité fâcheuse ? comment aurait-il modifié certains détails pour en diminuer obstinément le charme ? comment expliquer de très notables différences, toutes à l’avantage de l’œuvre peinte, dans l’ordonnance des lignes

  1. Objectera-t-on que la composition dessinée porte en marge le nom de Benedetto Montagna, inscrit il y a une trentaine d’années par Cicognara ? On ne saurait cependant se méprendre sur le sens de cette inscription ni sur l’intention de celui qui l’a tracée. Benedetto Montagna a gravé sur le même sujet une pièce fort recherchée par les iconophiles. Il est au moins vraisemblable qu’en inscrivant le nom du graveur sur le dessin, Cicognara aura voulu noter un souvenir, personnel, ou indiquer une comparaison à faire entre les deux ouvrages. Comment supposer en effet qu’un juge aussi expert ait cru reconnaître ici la manière de Montagna, manière bien différente à tous égards, bien éloignée de cette délicatesse et de cette grâce ? Ce qu’il est permis de penser seulement, c’est que Cicognara aura été la cause involontaire de l’erreur relative au tableau, et que l’analogie entre les noms du graveur et du peintre aura fait attribuer à Andréa Mantegna, puis vendre sous son nom, une œuvre qui ne lui appartenait pas plus que le dessin de l’académie de Venise ne peut appartenir à Benedetto Montagna.