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REVUE. — CHRONIQUE.

raires ; alors les intelligences se réfugient dans la poésie ou dans l’histoire. Le roman historique a eu dans notre siècle une certaine fortune au-delà des Alpes, et ce genre de littérature devait plaire en effet à l’imagination italienne ; c’était un moyen d’échapper aux spectacles du présent, sans se détourner de ce problème de la vie nationale qu’on retrouve à chaque pas en parcourant les annales de la péninsule. Manzoni a écrit ses scènes milanaises des Fiancés ; Guerrazzi a peint d’un trait amer et énergique quelques époques anciennes ; M. d’Azeglio a commencé sa carrière par son livre d’Ettore Fieramosca ; M. Cantu a esquissé quelques tableaux intéressans. On fait encore des romans historiques en Italie, puisqu’un écrivain plus jeune, M. Luigi Capranica, publiait récemment à Venise un récit qui a pour titre Giovanni delle bande nere, et qui ne tend à rien moins qu’à reproduire quelques-unes des scènes les plus tragiques, quelques-unes des figures les plus saillantes du XVIe siècle. Sans doute le roman historique n’offre le plus souvent qu’une image peu scrupuleuse et infidèle du passé ; il travestit les faits par le mélange de la fiction, il diminue les personnages en les faisant descendre de la hauteur où ils apparaissent. Il a du moins cet avantage d’introduire en quelque sorte l’élément privé, intime, dans la reproduction du passé : il est moins exact, moins fidèle et moins sévère que la véritable histoire ; il a parfois un caractère plus vivant, et peint le paysage, les mœurs, les passions. Quand on voit briller dans le lointain du passé des guerres, des révolutions, sait-on ce qu’il y a de malheurs privés, de larmes obscures, de luttes passionnées dans ces événemens dont on n’aperçoit que les dehors ? Qu’on fasse revivre cette partie intime, la scène s’animera tout à coup. Vous vous retrouverez, comme dans Giovanni delle bande nere, en plein XVIe siècle, auprès de ce petit village de Caravaggio qui a donné son nom à un peintre, et qui va devenir tout à l’heure le théâtre d’une lutte terrible entre les impériaux et les partisans de la France.

Ainsi commence ce roman nouveau. Dans le village, occupé par une garnison française, tout est mouvement. Les défenseurs de la petite place s’agitent au milieu d’une population effarée. Autour de Caravaggio campent les impériaux, avides de carnage. Une église est envahie et saccagée. On entend près de soi tous les dialectes, car dans ce camp il y a des Espagnols, des Allemands et même des Italiens, ceux des bandes noires de Jean de Médicis. La nuit tranquille et sereine, une nuit de printemps de l’année 1524, couvre encore cette veille d’armes ; dans quelques heures, tout va être livré au pillage et au massacre. C’est la première et peut-être la meilleure scène du roman. Ce lieu paisible foulé sous les pieds des combattans, ces impériaux, ces Espagnols, ces Français, qui vont se disputer ce coin de terre enviée, ces malheureux habitans de Caravaggio écrasés dans la lutte entre deux grandes ambitions, tout cela, n’est-ce pas un peu l’image de l’Italie elle-même ? Le récit de M. Capranica est pris tout entier, disions-nous, dans le XVIe siècle, et en effet on voit à l’horizon la première partie de cette époque. Les armées françaises descendent successivement des Alpes, et François Ier va trouver Pavie après Marignan ; Charles-Quint fait mouvoir tous les ressorts de sa politique compliquée, tout en accumulant les soldats en Italie. Sur les champs de bataille, on voit Bonnivet et Bayard à côté du marquis de Pescaire et de Leyva. Clément VII siège au Vatican, dans la ville éternelle, et flotte