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27 avril 1786. C’était le troisième grand ouvrage dramatique de Mozart, car il avait déjà composé Idoménée en 1781 et l’Enlèvement au Sérail en 1784. Don Juan a vu le jour un an après, en 1787. C’est Mozart lui-même qui demanda à Lorenzo da Ponte, et non pas à l’abbé Casti, comme on l’imprime chaque jour, de lui écrire un libretto sur la comédie de Beaumarchais. « Causant un jour avec Mozart, dit Da Ponte dans les délicieux mémoires que nous avons fait connaître ici même[1], il me demanda si je pourrais disposer pour la musique la comédie de Beaumarchais intitulée le Mariage de Figaro. Sa proposition me plut infiniment, et je lui promis de le satisfaire. » Il se présentait une difficulté pour la réalisation de ce projet : c’est que l’empereur Joseph II, tout prince philosophe et réformateur qu’il était, avait défendu ; qu’on représentât sur aucun théâtre de Vienne cette Folle Journée, qui avait eu un si grand retentissement à Paris, et qui fut l’amusant prélude d’une grande révolution. Heureusement pour le pauvre Mozart, contre lequel existait à Vienne une cabale redoutable que dirigeait Salieri, l’auteur des Danaïdes, il n’y avait rien à mettre à l’étude au théâtre de l’opéra italien. Da Ponte, après avoir terminé, son libretto, qu’il communiquait au fur et à mesure à son collaborateur, alla trouver l’empereur et lui proposa l’œuvre nouvelle. « Comment ! répondit l’empereur avec surprise, vous ne savez donc pas que Mozart, très habile dans la musique instrumentale, n’a jamais écrit qu’un seul drame vocal, qui n’était pas une œuvre bien saillante ? » [Non ha mai scritto che un dramma vocale, e quesio non era gran cosa !) C’est de l’Enlèvement au Sérail que veut parler ici Joseph II, une des plus délicieuses partitions de l’incomparable génie. Da Ponte eut le courage de défendre Mozart contre les préjugés de l’empereur, qui n’aimait que les opéras de l’école italienne. Joseph II assista à la répétition générale des Nozze di Figaro, accompagné de presque tous les grands personnages de sa cour. La musique de Mozart fut dignement appréciée par cet auditoire d’élite, et l’empereur en fut si émerveillé que personne n’osa plus avoir un avis contraire. Il ne fallut pas moins que la volonté souveraine de Joseph II pour vaincre les ennemis de Mozart, qui redoutaient avec juste raison l’avènement du maître qui devait les faire tous oublier. Le pauvre Salieri, qui est mort en 1825, a payé du chagrin de toute sa vie le tort d’avoir intrigué contre Mozart, puisqu’il a été soupçonné injustement de l’avoir fait empoisonner.

Voici les noms des chanteurs pour qui Mozart a écrit les Nozze di Figaro : ce sont Mmes Storace, Laschi, Mandini, Russani, Gottlieb, MM. Benucci, Mandini, Ochely et Russani. Mme Storace, qui a créé le rôle de la comtesse, était une cantatrice de beaucoup de mérite. Quant à Mandini, qui a joué le rôle du comte Almaviva, c’était un virtuose admirable possédant une très belle voix de baryton, que n’ont pas oubliée les vieux amateurs qui ont pu entendre la troupe de chanteurs italiens qui vint à Paris en 1789 au théâtre de Monsieur. Les Nozze di Figaro, traduites en français par un certain Notaris, ont été représentées sur le théâtre de l’Opéra le 20 mai 1793, et n’eurent que cinq représentations. C’était Laïs qui chantait la partie de Figaro. Une troupe de chanteurs allemands, qui vint à Paris en 1802, dans laquelle se

  1. Voyez notre étude sur Mozart et Don Juan dans la Revue du 18 mars 1849.