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nouveau de l’Algérie et des colonies au prince Napoléon ; mais nous ne voulons pas aller plus loin dans la voie des conjectures téméraires, et quant au nouveau ministère, nous attendons, pour calculer l’influence de cette création sur les grands intérêts de l’Algérie, que la nouvelle administration se soit organisée, et qu’elle ait fait connaître son programme.

Il est malheureux que les intérêts moraux, malgré leur importance, ne sachent pas donner à leurs légitimes exigences ce caractère pressant que savent si bien prendre les intérêts matériels dans leurs relations avec les gouvernemens. On assure par exemple que les compagnies de chemins de fer ne tarderont point à obtenir les satisfactions qu’elles demandent depuis quelque temps au ministère des travaux publics. Nous avons déjà parlé de cette importante question ; nous avons dit quel était l’embarras des compagnies. Dans une pensée de sage prévoyance et pour épargner aux capitaux engagés dans nos chemins de fer les périls et la ruine que les excès de la concurrence ont infligés aux actionnaires des chemins de fer anglais, le gouvernement français a voulu partager le réseau français entre six grandes compagnies, chargées chacune de desservir une région distincte de notre territoire. C’est cette pensée politique qui l’a engagé à favoriser les fusions successives des diverses compagnies rapprochées par des intérêts analogues, et qui auraient pu se nuire réciproquement, si elles ne s’étaient point amalgamées. Ce travail des grandes fusions a été achevé l’année dernière, lorsque le réseau du Grand-Central a été partagé entre les compagnies d’Orléans et de la Méditerranée ; mais en même temps qu’il avait consolidé les grandes compagnies dans leurs monopoles distincts, l’état avait dû pourvoir aux intérêts des localités qui ne possèdent point encore de voies ferrées. Il avait en conséquence imposé aux compagnies constituées la construction, dans un temps donné, d’un certain nombre de lignes nouvelles. Les capitaux sont, comme on sait, accessibles à toutes les influences de l’imagination ; de là leurs excès dans tous les sens, leurs folies de confiance et leurs paniques désordonnées, suivant les tendances irrésistibles qui s’emparent des esprits. L’imagination des capitalistes n’a pas pu supporter cette perspective des lignes nouvelles imposées aux compagnies : elle a décidé que la construction et l’exploitation de ces lignes ruineraient les actionnaires actuels. On ne pouvait pas renvoyer les capitaux effarés à l’épreuve de l’expérience, car les lignes nouvelles ne pourront être livrées à l’exploitation avant plusieurs années. En attendant, la peur faisait des ravages sans limites, et il était impossible de prévoir où s’arrêterait la dépréciation continue des titres. Arrivée à cette crise, cette maladie d’imagination prenait tous les caractères d’une grave question politique, et devait éveiller la sollicitude la plus attentive de l’état. La dépréciation des valeurs des compagnies n’était pas seulement un motif d’inquiétude et d’effroi pour les détenteurs de ces valeurs, condamnés à les vendre à perte, ou à calculer chaque jour les progrès de leur ruine ; elle minait, affaiblissait, restreignait le crédit des compagnies. Pour achever l’œuvre que l’état leur a confiée, les compagnies ont en effet besoin du concours de nouveaux capitaux ; or l’atteinte portée au crédit des compagnies par la dépréciation de leurs titres leur rendait de plus en plus onéreuses les conditions auxquelles elles pouvaient se procurer les capitaux