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qualités solides de l’intelligence, par la sagacité et la droiture du jugement dans les discussions d’affaires, par l’activité et l’initiative de l’esprit, par la connaissance approfondie du droit, que M. Delangle avait conquis sa place au premier rang dans le barreau de Paris. M. Delangle nous semble avoir résumé les mérites éminens qui l’ont distingué dans son remarquable commentaire sur les Sociétés commerciales, un livre qui n’est pas seulement resté le guide le plus autorisé des jurisconsultes dans l’interprétation de cette partie du code de commerce qui s’applique aux sociétés, mais qui offre un sujet d’études des plus instructifs aux économistes. Les grands partis parlementaires recherchèrent et se disputèrent pour ainsi dire M. Delangle, lorsqu’il aborda la scène politique. Il trouva dans le parti conservateur la conciliation de ses idées libérales avec ses instincts d’ordre, et, après avoir traversé la chambre des députés, il était procureur-général à la cour royale de Paris au moment où éclata la révolution de février. La fortune politique de M. Delangle n’est donc point un caprice du hasard : la marche régulière de sa carrière le conduisait au gouvernement, et il n’était pas de ceux qui ont besoin des confusions violentes et imprévues d’une révolution pour arriver au ministère. C’est cette valeur personnelle de M. Delangle, c’est l’autorité qu’elle lui permet d’apporter dans les conseils du gouvernement, qui nous font bien augurer de son entrée au ministère de l’intérieur. Le nom de M. Delangle est une promesse, et cette promesse a suffi pour détendre une situation qui entretenait dans l’opinion un malaise évident. Nous désirons sincèrement pour notre part que les espérances attachées au nom de M. Delangle soient promptement réalisées.

Le successeur de M. Delangle dans la seconde de nos grandes charges judiciaires, M. Devienne, n’a pas l’avantage d’être aussi bien connu du public ; ce chois nous paraît néanmoins corroborer la signification attribuée à la nomination de M. Delangle. Quoique Paris soit pour M. Devienne un théâtre nouveau, le passé politique du premier président n’est point sans avoir laissé des traces dans le souvenir de ceux qui ont été attentifs, depuis un certain nombre d’années, aux luttes et aux vicissitudes de la vie publique dans notre pays. Nous sommes de ceux-là, et nous n’avons point oublié les circonstances dans lesquelles il nous a été donné d’assister au début parlementaire, début très original et très caractéristique, de M. Devienne. C’était dans une de ces discussions orageuses qui précédèrent le vote de l’adresse, et qui furent comme le prélude de la révolution de février. On se souvient de la lutte ardente qui s’engagea dans la chambre des députés sur deux expressions célèbres de cette adresse : « les passions aveugles ou ennemies ; » expressions fatales, — stigmate alors prophétique, aujourd’hui historique, — par lesquelles la cause constitutionnelle, à la veille de sa défaite, caractérisait, sans en avoir conscience, les fautes et les malheurs de ses divisions. Il avait semblé alors à des conservateurs sincères, c’est-à-dire à ceux qui ne séparaient pas dans leur amour et dans leurs espérances les destinées de la liberté du maintien des garanties tutélaires de l’ordre, qu’il n’y avait que des partisans aveugles de la liberté ou des ennemis des institutions représentatives qui pussent s’associer au mouvement démagogique qui éclatait avec tant de violence. Hélas ! des aveugles, il y en avait dans les deux camps ;