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tantôt dans le Ché-kiang, au milieu des plantations de thé, tantôt dans le Kiang-sou, pays de la soie, tantôt à Canton, où il surveille l’embarquement pour l’Inde et pour l’Angleterre de ses précieux échantillons, sans compter les nombreux détours que lui imposent les accidens, la difficulté des transports, et souvent aussi l’imprévu de sa fantaisie. Demander à un touriste beaucoup d’ordre dans le récit de ses aventures, ce serait se montrer trop exigeant ; un journal de voyage est nécessairement une œuvre décousue, où le fil des idées se brise à tout instant, où le style varie avec les impressions, de même que les incidens et les observations à chaque étape de la route. Il semble cependant que, sans s’exposer à la monotonie de la forme didactique, M. Fortune aurait pu nous épargner en partie la fatigue d’esprit que font éprouver ces allées et venues continuelles à travers plusieurs provinces dont la situation géographique et les noms ne nous sont point familiers. Le lecteur, que guide trop rarement l’indication d’une date, se voit tout d’un coup transporté du nord au midi et du sud au nord, alors qu’il eût été très facile à l’écrivain de consacrer successivement aux principaux endroits qu’il veut décrire un chapitre particulier. Entre l’ordre parfait, qui est impossible dans ce genre de relation, et le va-et-vient désordonné du récit, il y a une juste mesure que M. Fortune, trop pressé sans doute, n’a pas voulu prendre la peine de chercher. Je me permets cette critique, parce qu’elle me venge de l’embarras où je me trouve pour suivre les terribles enjambées de mon voyageur. Faut-il aller à Canton ou à Shang-haï, à Hou-cheou ou à Formose ? Visiterons-nous, dans cette province du Ché-kiang déjà nommée, la charmante vallée de Neige ou la vallée des Neuf-Pierres ? Puisque nous sommes libres de choisir notre point de vue, reposons-nous un instant dans le jardin de How-qua, riche marchand de Canton : c’est un jardin modèle, que les Européens sont aisément admis à visiter.

Dès qu’on a franchi la porte, on se trouve en face d’une longue et étroite allée, pavée avec des dalles, bordée des deux côtés par des pots de fleurs et d’arbustes. Les fleurs les plus communes sont le rosier, le camélia, le magnolia, l’oranger ; on remarque aussi un grand nombre de ces arbres nains que les voyageurs ont souvent décrits et qui jouent un rôle trop considérable dans l’horticulture chinoise. Derrière chaque rangée de fleurs, on a établi des balustrades en briques à jour, d’un gracieux travail, à travers lesquelles le promeneur aperçoit de petits lacs dont les eaux sont verdies par les larges feuilles du nénuphar nageant à la surface. Vers le milieu de l’allée s’élève une arche de forme octogone, — et à la suite une sorte de berceau où sont disposés des sièges en porcelaine. On aperçoit çà et là d’élégans pavillons en briques et en bambous, des rocailles,